L’avis du « Monde » – A voir

Dans la carrière de Fatih Akin, cinéaste allemand d’origine turque qui obtint l’Ours d’or à Berlin, en 2004, pour son film Head-On et le Grand Prix du jury à la Mostra de Venise, en 2009, pour sa comédie Soul Kitchen, Golden Glove apparaîtra-t-il comme un pas de côté, un exercice de style, une plaisanterie un peu salée ? Le cinéaste, avec des bonheurs divers, a toujours semblé se préoccuper de la dimension sociale de certains des récits qu’il mettait en scène, récits construits souvent sur la collision de cultures différentes, voire antagonistes. Son dernier film en date semble, au premier abord, vouloir se contenter de jouer sur quelques réactions primitives du spectateur, notamment la peur et le dégoût, donnant pourtant le vague sentiment que l’outrance des situations décrites ne saurait vraiment être prise au sérieux.

Lire le compte-rendu de la Berlinale 2004 : L’Ours d'or consacre la renaissance allemande

La première séquence relève de la mise en condition. Pour le spectateur, ça passe ou ça casse. Elle détaille un meurtre sordide (une femme étranglée sur un lit par un glauque individu, un bigleux aux cheveux gras, au gros nez tordu et aux dents de travers) suivi par le dépeçage immédiat du corps, par une décapitation à la scie. On est moins frappé par le réalisme graphique de la séquence – réalisme amoindri par la manière dont est saisie l’action, partiellement cachée – que par la dimension besogneuse du crime et du découpage du cadavre. L’extraordinaire est ramené à l’ordinaire de l’effort physique et de la fatigue du tueur. D’autres séquences similaires suivront, toutes amenées par le destin minable et répétitif du personnage principal, un alcoolique obsédé sexuel qui emmène de vieilles prostituées imbibées d’alcool chez lui, en quête d’une relation dont l’échec systématique se solde par des meurtres. Ces assassinats sont essentiellement déterminés par l’impuissance sexuelle du personnage principal.

Portraits pittoresques et atroces

Golden Glove est basé sur la reconstitution, du point de vue du criminel, d’un fait divers qui ensanglanta l’Allemagne du début des années 1970 : l’histoire de Fritz Honka, un tueur en série sévissant dans le quartier de Sankt Pauli à Hambourg, meurtrier de quatre prostituées dont il gardait les restes dans son appartement. Der Goldene Handschuh est l’enseigne d’un bar de ce quartier, un lieu où se rend régulièrement le douteux héros de ce récit pour y capturer ses proies. Dans cet endroit se réunit tout un petit monde de déclassés (retraités, marins, prostituées, anciens SS) fortement alcoolisés, une humanité trompant l’ennui et le désespoir et constituant le prétexte pour le cinéaste à quelques portraits pittoresques et atroces en même temps.

L’effroi se mêle insidieusement à l’éclat de rire méchant face à une avalanche de situations pénibles

L’implacable et méticuleuse cruauté mise au service de la peinture de cette sordide réalité pourrait rapidement être considérée comme insupportable si l’outrance elle-même, venue de la restitution d’événements, certes extrêmes, mais aussi du style adopté, ne transformait cette chronique nihiliste en comédie macabre et grotesque – rien ne sauve jamais aucun personnage, ni aucune silhouette épinglée par ce jeu de massacre. L’effroi se mêle insidieusement à l’éclat de rire méchant face à une avalanche de situations pénibles et à une suite de portraits d’une burlesque tristesse. Derrière ce que l’on comprend être la reconstitution exacte des lieux réels des faits, comme le montre le générique de fin reprenant des images des endroits et des véritables personnages de cette histoire, se dessine la peinture d’une société gangrenée par la misère mais obsédée par l’ordre, une société loin de toute rédemption. Celle d’une Allemagne post-nazie rattrapée par ce qu’elle ne parvient pas vraiment à refouler.

Jonas Dassler incarne Fritz Honka, un tueur en série, dans « Golden Glove », de Fatih Akin. / WARNER BROS / GORDON TIMPEN

C’est sans doute dans l’usage de la musique que se dévoile le plus explicitement cet état de fait. La bande-son est en effet saturée de chansons de variété allemandes de l’époque. Celles qu’écoute notamment le personnage principal et qui semblent illustrer ironiquement ses macabres activités. Les mélodies melliflues et fades de la pop allemande ne constituent pourtant pas un contrepoint humoristique aux horreurs étalées sur l’écran (la douceur mièvre opposée à la barbarie). Elles en font partie. Le kitsch apparaît comme une dimension supplémentaire de la terreur. Voici peut-être, bien plus que les abjectes mises à mort et profanations commises, la véritable expression d’une résiliente sauvagerie historique.

Golden Glove - Bande-annonce officielle HD
Durée : 02:01

Film allemand de Fatih Akin. Avec Jonas Dassler, Margarete Tiesel, Hark Bohm (1 h 50). www.pathefilms.com/film/goldenglove