« C’est la même préparation physique, le même engagement, c’est le même sport. Il importe aujourd’hui de proposer des solutions pour aller dans le sens de l’égalité, en s’appuyant sur les apports des recherches en matière de genre » Photo : Megan Rapinoe (USA) / DPA / Photononstop / DPA / Photononstop

Tribune Dans une tribune du Monde « Les différences salariales entre footballeurs et footballeuses dépendent de la taille du marché », parue le 25 juin, deux économistes, Luc Arrondel et Richard Duhautois, proposaient une analyse des différences dans les rémunérations des footballeuses et des footballeurs se voulant objectivable et concluant à une absence de discriminations à l’encontre des joueuses.

Ces différences, arguent-ils, s’expliquent (et se justifient) par un fonctionnement du marché du football et d’un modèle économique, résumé par la formule d’un « gâteau à partager », d’une rente qui, logiquement disent-ils, favorisent les joueurs par rapport aux joueuses, le marché du football féminin ne bénéficiant pas de rente financière. Ce constat entérine comme un fait indépassable la logique du marché, et ne s’interroge en rien sur les raisons et les moyens d’y remédier.

Ainsi, si l’on ne doit s’en tenir qu’au cas particulier des sélections nationales, en quoi ces dernières, celles que la Fédération française de foot (FFF) gère par délégation de l’Etat, devraient-elles être « préservées » des lois de la République et des évolutions législatives vers plus d’égalité (parité, égalité salariale, etc.) ? Nous avons pu voir que pareil discours inégalitaire heurtait davantage, par exemple, lorsqu’il fut question de traiter différemment les footballeurs (citoyens) lors du débat sur les quotas relatifs à l’origine ethnique. Le football ne peut se construire hors de la République et encore moins à l’écart des mutations de la société, où l’acceptation des inégalités femmes hommes diminue.

Les études de genre en priorité

En outre, l’analyse du « fait économique », majoritaire il y a encore quelques mois, présente au moins deux manques majeurs, d’ordre méthodologique. D’une part, une approche exclusivement économiste se prive des apports de l’histoire, de la sociologie et de l’anthropologie du sport. D’autre part, écrire sur les femmes, et sur les différences de traitement entre les femmes et les hommes sans utiliser les études de genre est pour le moins surprenant. Celles-ci sont un outil précieux d’analyse du réel, mobilisé en sciences humaines et sociales, mais aussi en géopolitique, en biologie, en médecine, en sciences du numérique, qui permet de réduire fortement certains angles morts dans l’appréhension d’une société complexe.

Témoignent de cette lacune, dans la tribune, plusieurs impensés conduisant à des raccourcis peu scientifiques : quelques témoignages de footballeuses françaises intériorisant leur infériorité sociale en acceptant de se contenter de peu. Ce qui pourrait se traduire par : est-ce parce que quelques joueuses acceptent cette inégalité qu’elle est légitime ? Les stéréotypes de genre sont largement ancrés dans la population, y compris chez les femmes, et les effets en termes d’inégalités d’accès aux droits et aux ressources sont immenses ; c’est un fait largement documenté par la recherche.

Or, le fossé, flagrant, entre l’équipe de France qui accepte une inégalité de fait et l’équipe des Etats-Unis (ou d’autres, à l’instar de la Norvège, de l’Ecosse ou du Danemark) qui réclame une dynamique égalitaire, saute aujourd’hui aux yeux. Plusieurs footballeuses américaines attaquent leur fédération pour discrimination car leur équipe, triple championne du monde, bat des records d’audience, alors que celle des hommes ne s’est pas qualifiée pour la dernière Coupe du monde, occupe le 30e rang mondial et continue d’être mieux payée.

Persistance des préjugés

Elles avancent que l’argument de la rentabilité économique ne tient pas. De fait, si elle était calculée, un vif débat s’engagerait et pas seulement aux Etats-Unis, puisque même la FIFA admet ne pas savoir calculer combien les compétitions féminines rapportent : « Depuis que les droits des compétitions FIFA sont vendus à des partenaires commerciaux à travers des packages, les revenus spécifiques pour le Mondial féminin ne peuvent pas être distincts de l’ensemble des revenus tirés des compétitions » (Le Monde du 8 juin).

Au-delà de ces débats d’épiciers, il s’agit bien de savoir en quoi le football, au regard de son importance sociale, culturelle et aussi politique, doit être traité et régulé avec un autre regard que la calculette dans les mains du président de la FIFA, Gianni Infantino. Une telle réflexion ne concerne pas que les femmes mais peut largement s’étendre à la question du football africain par exemple.

Pour en revenir à la question des femmes, l’approche du sujet par les études de genre montre donc la persistance de préjugés sur l’infériorité des sportives et a mis en évidence qu’historiquement, les instances internationales, nationales et locales ont moins investi dans le football féminin que dans le football masculin, sans parler du fait que les compétitions féminines ont longtemps été interdites, y compris dans les pays occidentaux.

Les inégalités salariales

Ainsi, pour Stefan Szymanski, professeur d’économie à l’université du Michigan, cité par Le Monde le 8 juin : « Si on pense en termes économiques, de business, on pourrait dire que le football masculin a exclu le football féminin du marché de façon illégale », ajoutant « si on avait des milliards d’euros aujourd’hui dans le football féminin, on pourrait créer un produit commercial viable. »

L’augmentation, en urgence, du prix des spots publicitaires sur TF1 pour la Coupe du monde 2019 met en évidence ce moindre investissement, dû au poids des stéréotypes genrés et à la persistance d’un biais de masculinité hégémonique chez les décideurs. Ajoutons que les mêmes réflexions de la rentabilité, des revenus générés et du « gâteau à partager » ont longtemps dominé pour justifier les inégalités salariales en entreprise entre les femmes et les hommes.

Pas de « guerre des sexes »

Le sport se prévaut encore de cette exceptionnalité qui lui permet (pour combien de temps encore ?) de s’extraire des règles du droit. C’est en soit une discrimination mais elle est admise parce qu’on a peur de toucher au sport masculin, et que le droit européen, ultralibéral, est frileux. Le football des hommes et le football des femmes sont deux secteurs différents d’une même entreprise – même s’ils et elles n’ont pas le même employeur –, le travail est égal mais pas la valeur qu’il génère.

Il se trouve que d’un point de vue réglementaire ces deux secteurs sont séparés sur un critère sexuel. Dans une entreprise plus classique, on admettrait plus difficilement que toutes les femmes soient employées dans un secteur moins rentable pour justifier un écart de salaire (sans parler des conditions de pratique).

Il ne s’agit pas, comme le disent les auteurs de la tribune, d’opposer football masculin et football féminin, encore moins de « guerre des sexes ». C’est la même préparation physique, le même engagement, c’est le même sport. Il importe aujourd’hui de proposer des solutions pour aller dans le sens de l’égalité, en s’appuyant sur les apports des recherches en matière de genre.