Loïck Peyron, 59 ans, figure majeure de la course au large depuis quarante ans, vainqueur de la Route du Rhum 2014, était revenu sur La Solitaire Urgo Le Figaro pour les 50 ans de la création de cette course, qui s’est déroulée sur un nouveau monotype à foils, le Figaro 3. La dernière participation du marin du Pouliguen (Loire-Atlantique) remontait à quinze ans. Il termine 24e du classement général à 13 heures du vainqueur et à la 21e place de la dernière étape entre Baie-de-Morlaix et Dieppe (après avoir mené hier en journée la flotte) où la course s’est achevée, mercredi 26 juin, par la victoire au général de Yoann Richomme.

Pensiez-vous, au départ de Nantes le 2 juin, que les écarts allaient être si conséquents après ces quatre étapes ?

A la vérité je m’y attendais un peu au regard des premières courses de la saison. Parce que ces nouveaux bateaux accélèrent aussi vite qu’ils décélèrent, qu’ils ont plus de voilure, qu’on tire des bords au portant. A cela, ajoutons une météo estivale qui a aussi bouleversé les classements. Sans compter la troisième étape (Baie-de-Morlaix-Baie-de-Morlaix, 450 milles) qui a été le sommet avec des coureurs pris dans les courants d’Aurigny (face à la pointe de La Hague) et qui ont perdu au bas mot six à sept heures, le temps d’attendre la renverse du courant.

Tout cela a engendré des écarts importants. Voire presque des gouffres au regard des éditions précédentes où les écarts étaient minimes. Avec l’ancien bateau (Figaro 2) la course était tout autant disputée, mais c’était celle du petit pécule de temps. Parfois cela se jouait à une dizaine de secondes. Or, on parle en heures cette année.

Avec l’ancien bateau on capitalisait à l’ancienne, à l’économie. Bien sûr les « coups » existaient : ils étaient le fait de « desperados » qui savaient que, de toute façon, ils ne pouvaient pas perdre davantage et tentaient des bords inouïs, parfois payants. Il y a eu d’ailleurs des coups prodigieux par le passé.

Aujourd’hui la singularité me semble plus développée. Les portes sont plus ouvertes. Le caractère grégaire, comme les éléphants de Babar qui se suivaient, en guettant l’erreur de celui qui vous devance pour le passer et grappiller du temps au général, n’est pas forcément la stratégie gagnante.

Peut-être que certains d’entre nous ont été aussi trop suivistes et pas assez singuliers ? Adrien Hardy, esprit indépendant, marin exceptionnel, parcours étonnant, moyens limités, assez peu influençable, a démontré par exemple un caractère audacieux. J’ai été beaucoup impressionné par Justine Mettraux. Et bien entendu les coureurs qui constituent ce podium : de grands champions.

Vous êtes si surpris par le niveau ?

Je le savais naturellement très élevé mais il est exceptionnellement élevé. Courir Le Figaro c’est se confronter à un élevage de champions. Rarement l’expression, pourtant si souvent utilisée, « c’est un métier, figariste », n’aura pris une telle signification. J’ai été confronté pendant quatre étapes à des coureurs qui vont vite et qui possèdent en plus un talent exceptionnel. Tout cela rend profondément humble.

C’est d’ailleurs la principale vertu de cette course : vous remettre à votre place. Par ailleurs, le talent n’est pas toujours récompensé. D’où des classements surprenants, des renversements de podium saisissants d’une étape à l’autre et des chamboulements, je crois, jamais vus.

Vous finissez dans quel état ?

J’ai terminé la deuxième étape fatigué. Même si on ne dort que par fractions, je me trouve plutôt en forme. Au sujet de la deuxième étape, j’ai eu l’impression de l’avoir vécue accroché à la portière d’une voiture roulant à fond. C’est le paradoxe : les premiers ont vécu intensément cette étape mais les premiers donnent toujours l’impression que la fatigue les touche moins. Pourtant ils sont allés plus vite que les derniers qui, eux, finissent épuisés et… vaincus.

A cela vous ajoutez naviguer contre le contrant, comme c’était le cas le long dans les îles anglo-normandes dans la troisième étape et vous obtenez quelque chose qui tient du supplice moral. C’est bien simple dans cette troisième étape, avec toute la toile dessus, les bateaux reculaient…

C’est éprouvant car cela se joue parfois à dix minutes près dès lors que vous loupez la renverse de marée. Vous voyez alors la meute devant s’échapper et savez que jamais vous ne la reverrez. Vous venez donc de prendre en l’espace de dix minutes quasiment six heures dans la vue. C’est comme courir sur un tapis de salle qui vous entraîne inexorablement vers l’arrière…

C’est une course aussi où l’on prend des coups pendant quatre étapes mais où l’on ne les rend jamais. Bref, courir Le Figaro c’est aussi savoir encaisser. Mais c’est une course à étapes donc, de fait, l’espoir renaît trois fois. Ou la désillusion.

Est-il trop tôt pour tirer les enseignements de votre participation ?

J’ai eu le temps de me rendre compte que l’aspect le plus surprenant de cette première sur ces nouveaux Figaro c’est que je ne m’étais pas totalement débarrassé de mes réflexes acquis sur les gros bateaux. En fait j’ai trop anticipé. Pour filer la métaphore automobile, mes distances de freinages étaient trop importantes. Sur les gros bateaux, le jeu est de temporiser. Et là j’ai vraiment trop temporisé.