« Je n’ai pas changé. » La réplique d’Arnaud Montebourg saluant un syndicaliste CGT de General Electric sonne comme un avertissement. L’ancien ministre de l’économie de François Hollande est venu plein de gravité à l’invitation de l’intersyndicale du groupe américain qui a annoncé 792 suppressions de postes sur son site de Belfort. « Ces gens-là m’appellent, je ne vais pas me taire », assure-t-il.

Ce jeudi 27 juin, alors que les salariés du géant de la métallurgie attendent le résultat de l’audience de leur référé devant le tribunal de grande instance contre le plan social annoncé, l’entrepreneur-apiculteur est venu les conseiller sur la stratégie à adopter dans leur combat. Et montrer que s’il se bat pour ses ruches, il veut aussi faire entendre sa voix dans la défense de l’industrie française.

Dans la grande salle du restaurant des Capucins, à deux pas de la gare, la dizaine de syndicalistes, toutes étiquettes confondues, est venue lui raconter la « casse » de leur outil de travail et du savoir-faire industriel de l’entreprise rachetée par les Américains. L’ancien ministre écoute, acquiesce : « Quel carnage ! », soupire-t-il.

Le dossier lui tient à cœur. En 2014, alors à Bercy, Arnaud Montebourg avait bataillé en vain pour une nationalisation partielle d’Alstom pour éviter son absorption par General Electric. Après avoir été lâché par Manuel Valls et François Hollande, il avait dû à l’époque endosser la vente et tenter d’obtenir des garanties pour les salariés. Mais il n’avait pas eu le temps de les suivre, poussé vers la sortie du gouvernement après son bras de fer avec les deux têtes de l’exécutif.

« Le pays va mal »

Jeudi soir, après avoir raconté de manière fleurie sa « stratégie de résistance » face à ses « deux chefs », François Hollande et Manuel Valls, Arnaud Montebourg lâche : « Cette histoire est une humiliation nationale, la France a été vendue et abandonnée. » Il n’a guère de mots plus tendres pour Emmanuel Macron, alors « employé » de l’ancien chef de l’Etat socialiste, qui a continué à « brader le bien commun ». « Qu’est-ce que le gouvernement attend pour racheter avec la BPI, des fonds privés d’investissement – j’en ai eu au téléphone, ils sont prêts ! – au lieu de reprendre les éléments de langage de GE », s’indigne-t-il.

Son geste prend de l’ampleur, son ton se fait emphatique, et c’est l’ancien Arnaud Montebourg, plein de verve, qui semble revenir : « C’est le moment de se retrousser les manches pour reconstruire un outil stratégique dans le secteur énergétique. De quoi a peur le président de la République ? ! » Et d’ajouter, la voix soudain grave : « Ce qui se passe me dégoûte, il faut réparer cette blessure nationale. C’est pour cela que je suis là. »

L’ancien ministre qui assure régulièrement s’être retiré de la politique se fait plus explicite : « Le pays va mal, il faut le dire. » Voici quelques semaines que l’entrepreneur est sorti de sa retraite pour expliquer que la mondialisation est en train de tuer l’agriculture française et européenne, tout autant que son industrie. Il ne cesse de répéter que, face aux « empires qui veulent la dévorer », la France doit construire son industrie pour être indépendante. Qu’il est temps que l’Etat joue son rôle en défense.

« Continuer le combat »

Comme un prophète qui ne pourrait se taire, il fait entendre ses critiques sur France Inter le 14 juin, tapant sur le président de la République et La République en marche (LRM), « nouveau parti conservateur ». Quelques jours plus tard, il participe à une conférence contre la privatisation du Groupe ADP (ex-Aéroport de Paris) à l’Ecole normale supérieure, à Paris.

Cette nouvelle incursion dans l’actualité politique ravit ses soutiens. « Il est bon, il faut qu’il revienne », susurre Martial Bourquin, sénateur du Doubs, qui l’a accompagné à Belfort. L’intéressé jure qu’il n’en est pas question. Que son sujet maintenant, c’est son entreprise Bleu blanc ruche et ses projets de développement de production de miel local. Qu’il ne sort de son silence que pour défendre des causes qui lui sont chères telles GE ou l’agriculture en crise. Qu’il veut faire entendre sa voix à sa manière, pour « continuer le combat » qu’il a commencé. « C’est de ma responsabilité », dit-il.

Ce faisant, Arnaud Montebourg joue une partition singulière. « Nous sommes avec des menottes attachées au radiateur de la Maison Blanche ou du Palais du peuple de Pékin », a-t-il souligné, jeudi soir. Avant d’ajouter : « Comme disait Giscard, j’ai mal à ma France. » Une petite musique, très politique, qui commence à faire dresser l’oreille de certains de ses anciens camarades socialistes.