Le sélectionneur français Alain Giresse lors d’un entraînement de l’équipe de Tunisie à Suez, en Egypte, le 27 juin 2019. / FADEL SENNA / AFP

Il y aura forcément un peu de nostalgie dans l’air, vendredi 28 juin, au moment où Alain Giresse croisera ses anciens joueurs avant le coup d’envoi du match de Coupe d’Afrique des nations (CAN) entre la Tunisie et le Mali à Suez, en Egypte. Le Français a passé quatre ans de sa vie à Bamako, de 2010 à 2012 puis de 2015 à 2017. Amadou Pathé Diallo, qui fut son adjoint à deux reprises, l’assure : « C’est un Peul, comme moi. Il s’est très rapidement adapté au Mali. Avant d’arriver chez nous, il venait de passer quatre ans au Gabon. Alain a appris à connaître l’Afrique et à l’apprécier. »

Alain Giresse, 66 ans, compte 47 sélections en équipe de France de football, avec laquelle il a composé le carré magique des années 1980 aux côtés de Michel Platini, Luis Fernandez et Jean Tigana. Il a aussi été l’une des figures légendaires des Girondins de Bordeaux (1970-1986), qu’il quittera pour un dernier tour de piste à Marseille version Bernard Tapie.

A 50 ans, il s’expatrie au Maroc et plus précisément aux FAR Rabat (2001-2003), le club de l’armée, après deux expériences sur les bancs du Paris Saint-Germain et de Toulouse. Ce premier contact avec l’Afrique dure deux saisons, le temps de remporter la Coupe du trône. « Ce fut une bonne expérience, dit-il aujourd’hui. Mais j’ignorais que je reviendrais plus tard sur le continent, dans sa partie subsaharienne. »

« Rigoureux et exigeant »

En 2006, après un passage en Géorgie, il file au Gabon, où la sélection n’intéresse plus personne : « Je ne m’attendais pas à ce que ce soit aussi désorganisé. Pas de programme pour la sélection, et donc des joueurs guère concernés, pas d’Internet, une ligne téléphonique restreinte… »

A cette époque, le Gabon lambine à la 140e place du classement FIFA et la plupart des joueurs évoluant à l’étranger se détournent des Panthères. « Cela faisait des années que la sélection n’avait plus de résultats. Giresse s’est impliqué pour que ce soit mieux organisé. C’est quelqu’un de rigoureux et d’exigeant », estime Paul Kessany, l’ancien capitaine du Gabon.

Installé à Libreville, « Gigi » supervise quatre à cinq matchs de championnat chaque week-end, encourage certains joueurs à s’expatrier en Europe et fait parfois appel au système D pour améliorer le quotidien de la sélection. « Grâce à mes relations avec une entreprise française, on avait récupéré un conteneur pour mettre les équipements. On l’avait installé dans le jardin de la mère de l’intendant. Il y est toujours », s’amuse t-il.

Sur le terrain, le Gabon décroche une qualification pour la CAN 2010 et rate de peu celle pour la Coupe du monde la même année. Pourtant, un soir de mai 2008 à Libreville, une défaite face au Cameroun, en match de qualification pour le Championnat d’Afrique des nations 2009, provoque la colère de plusieurs supporteurs gabonais. « Son intégrité physique avait été menacée. Il voulait partir », se souvient Paul Kessany. Mais sur la demande du ministre des sports et des joueurs, il reste.

Le départ définitif interviendra après la CAN 2010 en Angola, achevée au soir du premier tour à cause d’un nombre de buts marqués moins important que le Cameroun et la Zambie. Le Français reviendra deux ans plus tard à Libreville, une ville où il a conservé de nombreuses attaches, pour y éliminer son ancienne équipe avec le Mali en quarts de finale de l’édition 2012, que les Aigles termineront à la troisième place.

« Tout le contraire d’un mercenaire »

Son premier séjour à Bamako s’achève trois mois plus tard, mais pas à cause du coup d’Etat du 21 mars durant lequel il est resté bloqué chez lui plusieurs jours, « à manger des pâtes », avant de pouvoir partir. « On entendait tirer, les frontières étaient fermées », se souvient-il. En mai, alors que son contrat est terminé, la fédération le fait revenir à Bamako pour lui dire… qu’il ne sera pas renouvelé !

En janvier 2013, la fédération sénégalaise le préfère à Aliou Cissé et à l’Allemand Volker Finke pour sortir les Lions de la Teranga d’une mauvaise passe. « La sélection restait sur une CAN 2012 ratée, une absence à celle de 2013, et pour nous il avait le meilleur profil, se rappelle Augustin Senghor, le président de la Fédération sénégalaise de football. Lors des discussions avec lui, j’ai compris qu’il avait une passion pour l’Afrique, un projet. Giresse est tout le contraire d’un mercenaire. C’est un bosseur qui était tous les jours dans nos locaux. »

A peine nommé, le sélectionneur s’installe à Dakar et s’attelle à bâtir une équipe. La Coupe du monde 2014 lui échappe, mais pas la CAN 2015. Fidèle à ses principes, le Français n’accorde aucun passe-droit, même aux cadres, et écarte de la sélection l’attaquant franco-sénégalais Demba Ba. « Il n’hésite pas à trancher, mais toujours pour le bien de l’équipe », intervient Paul Kessany.

La CAN 2015 organisée en Guinée équatoriale se termine mal pour les Lions, éliminés au premier tour. Et Giresse est la cible d’attaques d’une rare violence de la part de certains journalistes. « Il n’a pas su gérer cette relation avec la presse. Tout est parti d’un conflit avec une minorité et cela a pris beaucoup d’ampleur », observe Augustin Senghor. « J’ai eu des torts dans mes rapports avec une partie des journalistes, avec qui c’était la guerre », reconnaît Alain Giresse, qui demande à son président de ne pas lui proposer de nouveau contrat.

Son retour au Mali, scellé quelques mois plus tard, intervient dans un contexte sécuritaire très éloigné de ce qu’il avait connu entre 2010 et 2012. « Je lui avais dit que le pays n’était plus le même. Cela ne l’a pas découragé, contrairement à d’autres candidats », assure Amadou Pathé Diallo, son ancien adjoint. « Le climat était différent, il y avait plus de militaires dans les rues mais cela n’était pas trop pesant », assure Giresse. Mais après une double confrontation avec le Maroc en qualifications pour la Coupe du monde 2018 (0-6, 0-0), il démissionne en expliquant craindre pour sa sécurité.

Il attendra seize mois avant de signer un nouveau contrat avec la Tunisie, le temps de se consacrer à sa famille et à ses activités de consultant pendant la Coupe du monde en Russie. Dix-huit ans après le Maroc, Giresse est donc de retour au Maghreb après un long voyage et quelques péripéties.

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