LA LISTE DE LA MATINALE

Cette semaine, le Havre se prépare à ouvrir sa promenade artisitique, la dalle de la Défense prend l’air, à Porquerolles la villa Carmignac a imaginé une exposition autour de l’image de la « Source », Chantilly, un voyage dans l’histoire de l’art...

« Un été au Havre » : havre de fraîcheur

A quelque deux heures de train ou de voiture de Paris, et même au cœur de la canicule, les rues du Havre sont balayées par un vent maritime bienvenu, voire quelques averses brumisatrices. Depuis 2017 et à l’occasion de ses 500 ans, la ville reconstruite en béton après la deuxième guerre mondiale sous la houlette de l’architecte Auguste Perret, s’est dotée d’un festival estival qui fait la part belle à la découverte de la ville, aux charmes méconnus.

Cette année, parmi les œuvres commandées à des artistes pour jouer avec son espace public, ne pas rater la Narrow House de l’Autrichien Erwin Wurm, incongru pavillon de 18 mètres de long pour 1,30 mètre de large, au mobilier proportionné. Plus secrète : la nouvelle installation en bois du Brésilien Henrique Oliveira est installée de façon pérenne aux Jardins suspendus, ancien fort militaire reconverti en jardin botanique où un intriguant trou organique en façade se révèle être le creux d’un arbre horizontal déployant ses branches du sol au plafond dans une casemate.

Plus atmosphérique : l’installation sonore de l’Ecossaise Susan Philipsz, Turner Prize 2010, qui a ramené l’appel du large au sein de la monumentale église de béton Saint-Joseph. Plusieurs expos viennent ponctuer les trois parcours qui sillonnent la ville : le Berlinois Nils Völker investit le Tetris, la scène des musiques actuelles de la ville, avec des bidouillages numériques qui réenchantent le plastique ; le sculpteur allemand Stephan Balkenhol occupe tous les espaces du Portique, le centre régional d’art contemporain, et s’invite dans la géniale bibliothèque située au pied de l’iconique Volcan d’Oscar Niemeyer, ainsi que sur certaines façades ; le Muma, le musée d’art moderne, propose de redécouvrir le travail du prolixe Raoul Dufy, enfant du pays, dans son bâtiment climatisé, avec vue sur la mer.

Du 29 juin au 22 septembre. Renseignements : https://www.uneteauhavre.fr/fr. Gratuit. A nouveau à la direction artistique de cette édition d’Un été au Havre, Jean Blaise n’en poursuit pas moins le Voyage à Nantes, qui a inspiré cette déclinaison havraise, lancé le 7 juillet (https://www.levoyageanantes.fr/).

« Les Extatiques » à La Défense : une édition sous le signe de l’air

Fujiko Nakaya : « Fog Sculpture » #07156, Les Extatiques, 2019. / CARLOS AYESTA, 2019

Si on ne pense pas spontanément au quartier d’affaires de La Défense pour une échappée belle, cette destination à portée de métro se révèle de plus en plus surprenante. Après une phase de restauration et de mise en valeur de la collection d’oeuvres d’art dans l’espace public accumulée depuis la fin des années 1950 – plus de 70 sculptures, de la toute première, allégorique, qui a donné son nom au quartier, à l’ironique La Défonce de François Morellet, monumentale structure en acier qui transperce la dalle, en passant par Miro, Calder ou César.

Depuis 2018, le festival Les Extatiques, sous la houlette de Fabrice Bousteau, invite des artistes contemporains à jouer avec ce cadre ultra-urbain et architecturé. Ivresse de fraîcheur, le parcours débute dans le vaste bassin de Takis, où la Japonaise Fujiko Nakaya, 86 ans, a imaginé une sculpture d’air monumentale, soit un épais brouillard horizontal qui émane de l’eau toutes les 5 minutes. Plus loin, juste devant la cheminée d’aération à rayures de Raymond Moretti et dans cet univers sans voitures, Benedetto Bufalino offre une vision surréaliste : une 406 blanche (la même que celle du film Taxi) roues au ciel et transformée en lampadaire. La nuit, elle éclaire, le jour, elle crée une ombre propice à une sieste photogénique.

Esthète des « quiproquo visuels », Philippe Ramette a de son côté imaginé une nouvelle sculpture en parfait contre-point avec l’hyperactivité du quartier : une balançoire géante dont l’assise, en suspens à l’acmé de l’élan, comme en image arrêtée, laisse penser que son occupant s’est envolé dans les airs. Son portique blanc, dans l’axe de la Grande Arche et de l’Arc de Triomphe, en rappelle les lignes. Non loin, arrimée par des cordages, une de ses chaises est en lévitation. Entre autres surprises, trente panneaux d’affichage publicitaire viennent retracer une petite histoire de la représentation de l’air dans l’art, de Botticelli à Duchamp, et une installation de Pierre Ardouvin tout en moulins à vent vient attester de sa bonne circulation dans cette grande aire de jeux.

Du 27 juin au 6 octobre. Plus d’informations : https://www.ladefense.fr/fr/agenda/les-extatiques. Gratuit.

La Fondation Carmignac : un sanctuaire pour se ressourcer

Vue de l’exposition « La Source » avec, au centre, l’œuvre de Cyprien Gaillard intitulée « Sickle-Billed Rail », en 2019. / LA SOURCE / FONDATION CARMIGNAC, 2019

L’été dernier, la Fondation Carmignac faisait découvrir son extraordinaire écrin provençal, sur l’île de Porquerolles, à Hyères, avec un aperçu de sa collection de quelque 300 œuvres côté mas, et un jardin de sculptures côté garrigue. Le lieu cultive sa singularité : aller à la Villa Carmignac demande un déplacement physique et mental : après la traversée en bateau, celle-ci se rejoint à pied, et l’on y est accueilli par un breuvage frais de plantes médicinales locales. Puis on se déleste de ses affaires et de ses chaussures pour arpenter un espace muséal contemplatif au sol de pierre, largement souterrain, mais littéralement baigné de lumière, puisque le soleil entre à travers l’onde d’un large bassin, avec une jauge limitée à 50 personnes pour favoriser l’immersion.

Cet été, Charles Carmignac a fait appel à la commissaire Chiara Parisi, qui a imaginé une exposition autour de l’image de la « Source » se nourrissant de la collection, très américaine et picturale, pour en suivre les courants et les désirs, notamment autour du corps féminin et du paysage, dans un dialogue bouillonnant avec de nombreux prêts. De Gerhard Richter à Rosemarie Castoro, de Theaster Gates à Maurizio Cattelan, de Fabrice Hyber à Annette Messager. A l’étage, en remontant au coeur du mas, la commissaire poursuit son cheminement avec une rétrospective de l’artiste britannique Sarah Lucas conçue comme un espace domestique férocement sexualisé.

« La Source », à la Fondation Carmignac, à Porquerolles, jusqu’au 3 novembre. Plus d’informations : https://www.fondationcarmignac.com/, entrée de 0 € à 15 €.

« Princes et Princesses des Villes » au Palais de Tokyo : brûlants ailleurs

Leeroy New : « Aliens of Manila, Balete Colony », 2019, récipients divers en plastique, tubes industriels, lanières en fibre de verre, attaches de câble, équipement de laboratoire. / MARC DOMAGE / PALAIS DE TOKYO, 2019

Pour supporter la chaleur même au cœur de Paris, on peut toujours constater qu’elle est plus intense ailleurs, comme à Lagos (Nigéria), à Dacca (Bangladesh), à Manille (Philippines), à Mexico (Mexique), ou à Téhéran (Iran). C’est dans ces contextes urbains à l’énergie créative brûlante que le Palais de Tokyo a battu le pavé pendant une année pour en rapporter des pépites inclassables, œuvres hybrides et personnalités au cœur de systèmes D où se jouent les adaptations aux fluctuations économiques, politiques ou religieuses, les questions de genre, la visibilité via les flux des réseaux sociaux. Sel et fièvre de ces villes à pulsation rapide, les œuvres du parcours offrent des phases diurnes et nocturnes.

On marche sur les corps de pigment rose de Farrokh Madavi, ancien employé de morgue et boxeur iranien, on y découvre les nouveaux débouchés des peintres traditionnels de rickshaws de Dacca concurrencés par les impressions numériques, les assauts chromés et fluos du graffeur mexicain Zombra, les performances mutantes de l’Australien d’origine philippine Justin Shoulder (en résidence dans le centre d’art), les créatures de la cosmogonie pré-hispanique ressuscitées par la robotique par Fernando Palma Rodriguez, ancien ingénieur mexicain, Reza Shafahi, ex-lutteur iranien devenu dessinateur à 72 ans, l’univers trash et kawaii de la Philippine Maria Jeona Zeleta, les corps féminins et contraints de l’Américaine Chelsea Culprit, installée à Mexico…

Il fait chaud, on peut toujours aller boire une bière de l’artiste nigérian Emeka Ogboh, qui a brassé les parfums de ces villes pour l’exposition, ou atteindre la pénombre d’une salle de cinéma parfaitement climatisée, où défilent des films de cinéastes actuels des cinq villes.

Palais de Tokyo, 13, avenue du Président-Wilson, Paris 16e. Plus d’informations : https://www.palaisdetokyo.com/. De 9 à 12 €.

Au vert au domaine de Chantilly avec les Jocondes nues

« La Joconde nue », dessin de Léonard de Vinci exposé au Musée Condé de Chantilly, le 29 mai. / CHESNOT / GETTY IMAGES

A une cinquantaine de kilomètres au nord de Paris, le Domaine de Chantilly offre cet été une respiration forestière sous le signe de... la nudité. Une nudité de saison avant tout théorique : celle de la « Joconde nue », carton qui fut l’un des joyaux du duc d’Aumale. Donateur des lieux et de sa collection à l’Institut de France en 1886, il avait acquis ce dessin comme un original de Léonard de Vinci, qui fut ensuite désattribué. Le 500e anniversaire de la mort de l’artiste, cette année, a donné l’opportunité au musée de lancer des recherches approfondies sur ce dessin très altéré à la composition et aux dimensions proches de celle de La Joconde.

Les analyses, qui ont abouti à une réattribution à Léonard ou à un artiste de premier plan au sein de son l’atelier, sont le cœur d’une exposition qui se présente comme une enquête à travers l’histoire de l’art, qui rassemble l’ensemble des Jocondes nues répertoriées, offrant l’occasion de les comparer.

La confrontation avec trois de ses « aïeules » (par Botticelli, Bartolomeo Veneto et Piero di Cosimo), qui ouvrent l’exposition, permet d’inscrire le dessin dans la tradition de la Bella Donna, de la fin du XVe siècle à Florence et Venise, qui reflète un idéal de beauté ambigu. Mais les Belle Donne ont toujours des attributs, quand cette Joconde nue est débarrassée de tout artifice. Ce serait là l’invention de Léonard : l’aboutissement d’un genre par un dépouillement, une synthèse de la beauté devenue archétype. L’exposition se poursuit en retraçant sa postérité française, à travers le rayonnement de La Dame au bain de François Clouet.

Jusqu’au 6 octobre au Château de Chantilly. Renseignements : http://www.domainedechantilly.com