Un véhicule de la Minuad à Golo, dans la région soudanaise du Darfour, le 19 juin 2017. / ASHRAF SHAZLY / AFP

Ce n’est qu’un sursis, une minuscule pause sur la voie du démantèlement de la Mission conjointe des Nations unies et de l’Union africaine au Darfour (Minuad), la force de maintien de la paix dans l’ouest du Soudan, dont la fin des activités a été fixée à juin 2020. Jeudi 27 juin, le Conseil de sécurité s’est accordé avec difficulté sur un renouvellement technique de quatre mois de son mandat, suspendant ce à quoi la Minuad s’occupe essentiellement pour le moment : organiser son propre départ, déjà avancé et programmé pour s’achever dans un an. Ce retrait progressif est désormais gelé pour les quatre prochains mois et devra être rédiscuté à l’issue de cette période.

Ce délai pourrait être crucial, parce qu’il « devrait permettre de clarifier la situation politique au Soudan », ont avancé les Etats-Unis. Si les autorités de Khartoum, dans l’intervalle, font la démonstration que le pays est en voie de stabilisation, ces quatre mois n’auront été qu’une parenthèse. Mais est-ce réaliste ?

D’abord, il reste à déterminer qui, d’ici à octobre, dirigera le Soudan. Le pays traverse une phase à risques depuis que, le 6 avril, après quatre mois de manifestations à travers le pays, le président Omar Al-Bachir a été renversé. Un Conseil militaire de transition (TMC) a pris le pouvoir, avec pour mission de le transférer dès que possible aux civils. Ce processus est en crise et fait redouter de voir basculer le Soudan dans des violences. Dans ce contexte, fallait-il laisser se dérouler sans réagir la disparition programmée de la Minuad ?

Le retour des anciens miliciens janjawids

Omar Al-Bachir ne voyait pas d’un bon œil la présence d’une mission de maintien de la paix au Darfour, où les violences de la campagne dite de « contre-insurrection », en 2003-2004, ont fait près de 300 000 morts, selon l’ONU. Depuis le déploiement de la Minuad en 2007 (après la fusion des opérations de l’ONU et de l’Union africaine), le pouvoir soudanais avait veillé à lui couper les ailes en restreignant continuellement sa marge de manœuvre. La Minuad a été, à son apogée, l’une des plus grosses opérations de maintien de la paix de la planète, mais a souffert de toutes sortes de handicaps.

Malgré le courage des contingents militaires qui y ont été déployés (les Rwandais, en particulier, y ont fait la démonstration de leurs qualités), son rôle politique a été constamment brouillé et son efficacité réduite par l’immensité de la tâche. Pour finir, les coupes dans les budgets des opérations de maintien de la paix, poussées par les Etats-Unis, et la fin de la prééminence du Darfour dans l’attention de la planète, ont conduit cyniquement à précipiter sa fin.

Son effectif a déjà été ramené à 5 600 casques bleus, contre quelque 17 000 à son déploiement maximal (elle aurait dû en compter 20 000). Près de dix bases de la mission hybride ont déjà été rétrocédées au gouvernement soudanais, qui les a aussitôt, à deux exceptions près, confiées aux hommes de la Force de réaction rapide (RSF), formée à la base d’anciens miliciens janjawids. Ces derniers avaient mis le Darfour à feu et à sang pour le compte du pouvoir central.

Dans le cadre des bouleversements récents, la RSF joue un rôle crucial dans le processus politique à Khartoum. Mais cela va plus loin. Dirigés par le général Mohammed Hamdane Dagolo « Hemetti », ses membres sont intervenus pour briser dans le sang, le 3 juin, le sit-in du camp pro-démocratie dans la capitale soudanaise (128 morts recensés).

Presque au même moment, des unités non identifiées de membres de « tribus nomades », selon un rapport de la Minuad, ont attaqué Deleig, dans le djebel Marra, au Darfour, selon un schéma rappelant les massacres commis par les ex-janjawids dans cette région : une centaine d’habitations brûlées, 17 civils assassinés. Signe, entre autres, que la normalisation au Darfour, tant vantée par le pouvoir soudanais ces derniers mois, n’est pas acquise.

Pékin et Moscou prônent la non-ingérence

De plus, les tensions entre différentes parties, à Khartoum, font redouter une flambée de violences si aucun accord politique n’est trouvé. Tout aurait, immanquablement, des répercussions sur le Darfour. Achever sans se poser de question le démantèlement de la Minuad, dans ces circonstances, relèverait de la non-assistance à région en danger. « La décision de mettre fin à la Minuad ferait courir imprudemment et inutilement à des dizaines de milliers de personnes le risque de perdre leur seul rempart contre la politique gouvernementale de la terre brûlée », avait averti début juin Kumi Naidoo, secrétaire général d’Amnesty International.

« Nous ne sommes pas des somnambules », a tenté de rassurer Christoph Heusgen, l’ambassadeur allemand au Conseil de sécurité, qui co-rédigeait la résolution avec les Britanniques. Le réveil collectif, dans ce cas, est récent. Les casques bleus « sont toujours nécessaires », s’est aperçu le Britannique Jonathan Allen à cette 23e heure de la disparition programmée de la Minuad, ajoutant : « Il aurait été impossible dans les circonstances actuelles d’engager le retrait comme si rien ne se passait dans la capitale soudanaise. » Ce n’est l’avis ni de la Chine, ni de la Russie, qui, au nom de la non-ingérence, préféreraient laisser la main aux militaires et à leur bras armé de la RSF.

Les membres du Conseil de sécurité attendent à présent du secrétaire général de l’ONU, Antonio Guterres, et de l’Union africaine qu’ils soumettent un rapport d’évaluation commun, fin septembre, afin d’étudier de nouveau l’opportunité de poursuivre le retrait des casques bleus. Dans l’intervalle, le TMC, à Khartoum, serait avisé de « mettre un terme à la violence et transférer le pouvoir aux autorités civiles, pour permettre au Soudan de rejoindre la communauté des nations », estime l’ambassadeur Allen. Pékin et Moscou ont déjà bataillé pour que le gel du démantèlement, qui devait être de six mois, soit amputé de soixante jours, ce qui laisse augurer d’un nouveau bras de fer en octobre.