Le roi peul Mohammed Abubakar Bambado dans son palais du quartier de Surulere, à Lagos, au Nigeria, le 28 avril 2019. / LUIS TATO / AFP

Mohammed Abubakar Bambado est un homme pressé. A peine a-t-il terminé son rendez-vous avec un client australien au port de Lagos qu’il est attendu dans son palais. Ses sujets patientent depuis près de trois heures pour une audience. Quand il arrive, son iPhone sonne une énième fois. « Excusez-moi, c’est une urgence. »

Après son grand-père et son père, il est le troisième « Sarkin Fulani » de Lagos : un roi peul au cœur la bouillonnante capitale économique du Nigeria, où se succèdent gratte-ciel et bidonvilles, autoroutes à six voies et pistes en terre cabossées. Mais à 49 ans, c’est aussi un homme d’affaires prospère et respecté, à la tête d’une importante société de dockers. A bord de son 4x4 Mercedes gris métallisé, il balaie la plupart des clichés habituels, à commencer par celui qui voudrait que tous les Peuls soient éleveurs. Ou la caricature classique sur le physique : il n’a ni le teint clair, ni le nez aquilin, encore moins une silhouette frêle. C’est un costaud aux yeux doux.

Le temps d’embrasser la ribambelle d’enfants qui chahutent dans la cour, d’enfiler son turban de chef traditionnel, et il est enfin prêt. Il s’installe dans un large trône aux accoudoirs ornés de deux imposantes têtes de vaches couleur or. Derrière lui est accroché un chapeau de paille traversé d’un sabre. A ses pieds, l’assistance se tait. Le griot appelle les noms. Les uns après les autres, les hommes viennent s’agenouiller en signe de respect. Une courte prière et l’audience peut commencer.

Litiges fonciers, querelles familiales…

Il y a là des chefs de quartier, assis en tailleur sur un large tapis brodé, mais aussi des responsables de corporations : celle des Okada, ces taxis-motos qui permettent de contourner les embouteillages tentaculaires de la mégapole de 20 millions d’habitants, celle des aveugles-mendiants qui frappent aux fenêtres des automobilistes… Tous ont un point commun : ils sont issus de la communauté peule haoussa, originaire du nord à majorité musulmane. Elle représente environ un quart de la population de Lagos, qui se trouve en plein pays yoruba, ethnie majoritaire dans le sud-ouest.

« Je suis là pour résoudre leurs problèmes », explique le roi peul. Et il écoute. Un changeur d’argent a été kidnappé et assassiné par ses ravisseurs. La famille, qui n’a pas confiance en la police, implore l’influent chef traditionnel de suivre l’enquête. Il acquiesce. Les doléances se poursuivent : litiges fonciers, querelles de familles, attaques et vols à main armée… « C’est un homme bon. Quand il se passe quelque chose de grave, même s’il voyage à l’étranger, il décroche toujours son téléphone. Et s’il le faut, il prend un vol retour pour le Nigeria », assure Suleiman Ibrahim, assis au dernier rang.

Bambado est issu d’une famille instruite et très croyante. Ses grands-parents ont été parmi les premiers migrants à quitter leur région aride et sahélienne, à plus de 1 000 km de Lagos, au tout début du XXe siècle. Le patriarche, un commerçant de l’Etat de Jigawa, voyage alors aux quatre coins du pays pour vendre des noix de kola et des pépites d’or. Jusqu’au jour où il décide de s’installer pour de bon sur la côte Atlantique. C’était en 1904.

« Peu à peu, c’est devenu une figure incontournable. Quand des gens du nord séjournaient à Lagos, c’est lui qui les accueillait. Ils étaient toujours plus nombreux, alors un jour ils ont décidé qu’il leur fallait un chef : mon grand-père. » Le premier « Sarkin Fulani » diversifie ses activités. Il investit dans le commerce de bétail et « approvisionne même l’armée nigériane en viande durant la guerre civile du Biafra » (1967-1970), raconte avec fierté son petit-fils.

« Je suis un Lagosien avant tout ! »

L’accès à la mer est un atout indéniable pour le commerce. Le trafic maritime se développe, le port a besoin de bras pour charger et décharger les navires qui accostent à Lagos. Cela tombe bien, il y a justement un flot de migrants qui continuent d’arriver à Lagos, terre d’accueil cosmopolite. Le grand-père de Bambado fonde alors une société de manutention portuaire et emploie ses « frères » comme main-d’œuvre. Tout comme le titre de « roi des Peuls », la direction de la compagnie se transmettra de génération en génération.

A la mort de son père, en 1994, Bambado, alors étudiant en gestion d’entreprise à Maiduguri (nord-est), reprend le flambeau. Dockworth Services International emploie aujourd’hui plus de 1 500 personnes à Lagos, Calabar (sud-est) et Warri (sud). Le patron passe environ « la moitié du temps » à Londres ou à Dubaï pour les affaires. Les Peuls sont un peuple sans frontière, dit-on. Du Sénégal à la Centrafrique, ils seraient 30 à 40 millions, répartis dans une quinzaine de pays.

Mais s’il n’oublie pas ses origines, Bambado reste loyal à la terre qui l’a vu naître. « Je suis un Lagosien avant tout ! », aime-t-il répéter. Il sait aussi que ses sujets l’attendent dans le petit palace décrépi de Surulere, quartier populaire où il continue d’habiter avec sa femme et ses trois enfants. Et il n’est pas très loin de son troupeau : il possède 300 vaches dans la banlieue proche de Lagos.

Sommaire de la série « Peuls au Nigeria »

A travers une série de reportages, une équipe de l’AFP s’est rendue dans plusieurs régions du Nigeria, à la rencontre du peuple peul.