Un millier de personnes ont défilé dans le calme samedi à Nantes en mémoire de Steve Maia Caniço, disparu pendant la fête de la musique, au cours de laquelle des personnes sont tombées dans la Loire après une opération policière. / JEAN-FRANCOIS MONIER / AFP

Les lettres peintes à même le sol courent sur le macadam du quai Wilson et scandent ce cri de colère : « Ils étaient venus danser, on les a jetés dans la Loire ». Une autre inscription annonce : « Un coucher de soleil vaut mieux qu’un nuage de lacrymo ». Un troisième tag interroge : « Dans le monde d’aujourd’hui, danser, est-ce un délit ? »

Cela fait désormais une semaine que Steve Maia Caniço, 24 ans, n’a plus donné signe de vie. Samedi 29 juin, bravant un soleil de plomb, près d’un millier de personnes ont marché à Nantes (Loire-Atlantique) pour « exiger la vérité » sur les événements survenus le soir de la fête de la musique au cours de laquelle le jeune homme, animateur périscolaire, a disparu.

« C’est dur de concevoir qu’il revienne »

Cette nuit-là, l’intéressé a pris part à la soirée techno orchestrée quai Wilson, site dépourvu du moindre parapet bordant la Loire. Les policiers nantais ont voulu disperser la fête samedi 22 juin, à 4 h 30. L’opération a rapidement dégénéré : aux jets de projectiles de danseurs ont répliqué des grenades lacrymogène et de désencerclement ainsi que des lanceurs de balle de défense (LBD). Un mouvement de panique a suivi, plusieurs participants tombant dans la Loire.

L’hypothèse d’une chute fatale de Steve Maia Caniço hante tous les esprits. « Steve, c’était quelqu’un de super, qui brillait, qui sautait, qui dansait et qui vivait », énonce, la gorge nouée, Anaïs, une amie proche, alors que des voix entonnent « Justice pour Steve, justice pour tous ». « Chaque jour, on espère le voir arriver en disant : Coucou, c’est une blague, je suis là, explique Aliyah, étudiante et amie de l’intéressé. Mais c’est dur de concevoir qu’il revienne. »

« On est là pour dénoncer ce qui s’est produit, reprend Anaïs. Quatorze personnes se sont retrouvées dans l’eau, notre ami a disparu. Beaucoup de participants ont subi des dégâts psychologiques et physiques. Nous avons le droit de nous amuser, nous n’avons jamais voulu casser quoi que ce soit. » « L’opération de police, telle qu’elle a été menée, était de la folie, dénonce Jérémy Bécue, opérateur dans le secteur de l’industrie chimique, qui a été secouru dans la Loire. Qu’est-ce que cela pouvait faire que l’on continue à danser jusqu’à 7 heures du mat’? Il n’y a pas d’habitation autour. Même si certains ont balancé de la caillasse ou des bouteilles sur les forces de l’ordre, je ne comprends pas qu’on ait pu donner l’ordre d’intervenir et de lancer des grenades lacrymogène alors que la Loire se trouve à cinq ou dix mètres des gens venus faire la fête. »

Lui se souvient d’une foule courant en tous sens : « J’ai voulu m’écarter sans paniquer. J’avais les yeux brûlants, il faisait nuit, je ne voyais rien, je suis parti à la flotte sans me rendre compte de ce qui arrivait. » Le jeune homme, 24 ans également, dit avoir eu « une sacrée bonne étoile. J’ai rapidement sorti la tête de l’eau et réussi à agripper une corde jusqu’à l’arrivée des secours ». Une fois hors de l’eau, il indique avoir entendu un autre rescapé alerter les sauveteurs : « Il disait qu’un homme l’avait poussé vers le bord pour qu’il récupère une corde mais que cet homme avait coulé. Pour lui, c’était sûr, il y avait un noyé. »

Selon les témoignages recueillis par Le Monde, les sauveteurs ont également eu vent de ce scénario dramatique. « Pour nous, il y a toujours eu suspicion d’une personne manquant à l’appel », confirme un pompier, sous couvert d’anonymat.

De nombreux amis du disparu passent désormais des heures quai Wilson : « Ici on est ensemble, on essaie de garder espoir, même si c’est difficile, souligne Aliyah. Mais c’est mieux que de s’effondrer chez nous ».

« Ca ne méritait pas la cavalcade qui a suivi »

Un premier « rassemblement-hommage » a ainsi été orchestré quai Wilson vendredi soir. A cette occasion, Marc Hamon, 67 ans, artisan menuiser à la retraite, et Lysiane, sa compagne, étaient venus exprimer leur « solidarité » et leur « colère ». « Le 21 juin, on est passés sur le site une première fois à 21 heures et on a été choqués de voir que les autorités n’avaient pas pensé à installer la moindre barrière de protection, rapporte M. Hamon. On s’est dit que c’était chronique d’une catastrophe annoncée. A 1 heure, sur notre retour, l’ambiance était bon enfant. Mais il y avait ce problème de sécurité. Il suffisait qu’un jeune, un peu alcoolisé, ait envie de faire ses besoins dans la Loire et l’accident pouvait arriver. » « Ces jeunes ont le droit de s’exprimer sur une musique qui leur plaît, reprend Lysiane. Et quand bien même l’un d’eux a remis le son après que les policiers ont demandé l’arrêt de la fête, ça ne méritait pas la cavalcade qui a suivi. »

L’Inspection générale de la police nationale a été saisie afin d’établir précisément les circonstances de l’opération policière, qui suscite la controverse jusque dans les rangs de la police.

Le collectif Média’son, qui vise à promouvoir les musiques électroniques et à favoriser le dialogue entre organisateurs de free-party et autorités, s’attelle à coordonner les témoignages en vue de déposer, en début de semaine prochaine, une plainte collective pour « mise en danger de la vie d’autrui ».