"Ftt, Ft, Ftt, Ftt, Ffttt, Ftt" (2010), de Ryan Gander, issue de la collection Ishikawa, exposée au Mo.Co Hôtel des collections de Montpellier. / SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »

Les collectionneurs japonais raffolent des impressionnistes ? Le Mo.Co bat en brèche le cliché en dévoilant les trésors amassés par Yasuharu Ishikawa, dans le cadre de l’exposition « Distance intime ». En huit ans à peine, ce jeune businessman ayant fait fortune dans la mode s’est singularisé dans le paysage, en se passionnant pour l’art conceptuel des années 1960 et ses successeurs, du pionnier japonais On Kawara au roi de la performance Tino Sehgal. Dans ses salles amples et lumineuses, inaugurées pour l’occasion, l’Hôtel des collections se paie le luxe de dévoiler pour la première fois au public ces pièces, sur une proposition de Yuko Hasegawa, directrice artistique du Musée d’art contemporain de Tokyo.

Coup de maître pour cette institution flambant neuve, qui a pour spécificité de se consacrer exclusivement à des collections privées : la plupart sont des œuvres maîtresses, réalisées par quelques-uns des artistes les plus fascinants du moment. « Cette collection est absolument unique en son genre au Japon », se félicite la commissaire, venue spécialement pour l’occasion. Sur un ensemble d’environ 250 œuvres, auxquelles M. Ishikawa compte bien offrir, d’ici à quelques années, un musée, dans sa région natale d’Okayama, elle en a retenu plus d’une trentaine, d’Anri Sala à Simon Fujiwara, en passant par Mike Kelley. Son exposition, elle l’a composée au cordeau, autour des questions d’identité, de mémoire et d’exil, des êtres comme des formes.

Allure minimale, profonde sensibilité

Qui dit conceptuel ne dit pas sec pour autant. Certains des artistes revendiquent même un certain humour : dans une vidéo, Shimabuku s’échappe vers la mer, à bord de l’un de ces bateaux-cygnes typiquement japonais qui, d’ordinaire, ne quittent jamais leur étang. La plupart des œuvres cachent surtout, sous leur allure minimale, une profonde sensibilité. Ainsi de ce mini-fantôme de marbre, à quatre pattes au sol sous son linceul : il a été inspiré à Ryan Gander par un jeu de sa fille, « et rappelle simplement qu’en donnant la vie tu donnes aussi la mort », souligne Vincent Honoré, qui a suivi le projet comme directeur des expositions. Ce couple d’ampoules, allumées à jamais ? « C’est la première guirlande lumineuse qu’ait créée Félix Gonzalez-Torres, elle est un hommage à Ross, son compagnon mort du sida quelques années avant que lui-même ne succombe », explique Vincent Honoré.

« Tell My Mother Not to Worry » (2012), de Ryan Gander, œuvre exposée à « Distance intime », au Mo.Co Hôtel des collections, à Montpellier. / SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »

Au côté de cette figure mythique du New York des années 1980, un autre empereur du conceptuel, le Belge Marcel Broodthaers. Mais aussi On Kawara, représenté ici par l’un de ses fameux livres des jours : sous des toiles noires chargées juste d’une date de l’année 1994, une série de ces cartes postales qu’il envoyait, chaque matin, à ses amis dans le monde entier depuis son exil new-yorkais, en stipulant simplement l’heure de son lever (« I got up at… »). Elles font écho à l’installation d’un de ses héritiers, Danh Vo, jeune Vietnamien arrivé enfant au Danemark, avec sa famille. A voir ses cartons ornés de dessins à la feuille d’or, impossible de ne pas penser au souvenir des boat people : ils stigmatisent comme autant d’illusions le rêve américain et la statue de la Liberté, tout en se faisant ode au déménagement perpétuel.

« Massive Black Hole in The Dark Heart of our Milky Way » (2012), de Danh Vo, issu de la collection Ishikawa présentée à l’Hôtel des collections de Montpellier. / SANDRA MEHL POUR « LE MONDE »

Point d’acmé de l’exposition, la salle consacrée à Pierre Huyghe. Le plasticien français a tellement conquis Yasuharu Ishikawa que ce dernier lui a confié pour septembre la direction artistique de la 2e triennale d’Okayama, qu’il a lui même lancée et qui attire d’ores et déjà la fine fleur de l’avant-garde. Tourné en partie dans les ruines de Fukushima, son Human Mask est un moyen-métrage fascinant. On y suit une créature hybride, en train de déambuler dans une maison abandonnée qu’elle connaît comme sa poche. Est-ce un robot, un enfant, un automate, un mélage de tout cela ? Il s’agit en fait d’un singe savant, attifé d’un masque blanc. Parabole du monde de demain, monde sans l’homme ?

Pour se remettre de la mélancolie de ce parcours, l’ex-hôtel Montcalm a aménagé dans ses salons historiques une librairie, et un restaurant. Sous les néons de Loris Gréaud, et derrière les portes transparentes investies par Mimosa Echard (deux œuvres semi-pérennes commandées pour le site), le chef propose une cuisine rassérénante. En attendant, à la rentrée, les tapas imaginées par des invités, sur mesure pour chaque exposition.

Le Mo.Co en pratique

MoCo Hôtel des collections, 13, rue de la République. Tél. : 04-34-88-79-79, Moco.art. Du mardi au dimanche, de 12 heures à 19 heures, jusqu’à 22 heures de juin à août. Exposition « Distance Intime. Chefs-d’œuvre de la collection Ishikawa », du 29 juin au 29 septembre. Entrée : 8 €, tarif réduit : 5 €, gratuit -18 ans. Entrée gratuite les 29 et 30 juin.

MoCo Panacée, 14, rue de l’Ecole de pharmacie. Tél. : 04-34-88-79-79. Du mercredi au dimanche, de 12 heures à 19 heures, jusqu’à 20 heures de juin à août. Exposition « La Rue. Où le monde se crée », jusqu’au 18 août. Accès libre.

MoCo ESBA (Ecole supérieure des beaux-arts), 130, rue Yéhudi-Ménuhin. Tél. : 04-99-58-32-85.

Exposition « 100 artistes dans la ville » (13e édition de Zone artistique temporaire), jusqu’au 28 juillet dans le centre-ville historique de Montpellier. Parcours en accès libre, à retrouver sur Zat.montpellier.fr

Cet article a été réalisé dans le cadre d’un partenariat avec le Mo.Co.