« Final Days » (2014), de Kaws, proposé à la vente lors des Monaco Sculptures, le 19 juillet 2019. / Kaws/Artcurial

Cela ressemble à un poisson d’avril. Le 1er avril 2019, donc, un tableau de l’artiste new-yorkais Kaws revisitant l’univers des Simpson, s’adjuge pour 14,7 millions de dollars (12,3 millions d’euros) chez Sotheby’s, à Hongkong. Soit quinze fois son estimation. Ce prix délirant surprend tout le monde, à commencer par le principal intéressé. « Est-ce que je pense que mon œuvre doit se vendre à ce prix ? Non », écrit un Kaws tout interloqué sur son compte Instagram suivi par plus de 2 millions d’abonnés. Surfant sur la vague, Artcurial propose le 19 juillet à Monaco une sculpture monumentale de 2014. Estimation : autour du million d’euros.

Issu de la scène graffiti où il fut le protégé de l’artiste Barry McGee, inspiré par le Pop shop de Keith Haring, Brian Donnely, alias Kaws, Mélange les références de la culture pop comme Mickey, Bob l’Eponge ou les Simpson, avec ses codes visuels personnels, crâne de pirate, yeux en croix. Rien de renversant, encore moins de révolutionnaire. Mais, comme le pose Arnaud Oliveux, spécialiste chez Arturial, « c’est direct, très visuel, joyeux, facile d’accès ». Et bigrement malin. Car Kaws joue sur tous les tableaux. Il combine ainsi un sens avéré du merchandising – il décline ses personnages en T-shirt ou baskets pour Uniqlo et Nike – avec les moyens de production à grande échelle de l’art contemporain. En mars dernier, pendant la foire Art Basel Hong Kong, il a fait flotter une monumentale sculpture gonflable longue de trente-sept mètres au beau milieu de Victoria Harbour. Roi du cobranding, il a aussi dessiné en 2008 la couverture d’un album du rappeur Kanye West et, en 2014, s’est associé au chanteur Pharrell Williams et à Comme des garçons pour le lancement du parfum Girl.

Iconographie enfantine

Bizarrement, son iconographie enfantine, voire régressive, a convaincu quelques curateurs chevronnés comme Germano Celant, le théoricien de l’arte povera, qui l’a exposé en mars à la Fondation Hoca à Hongkong. Le Brooklyn Museum prévoit aussi une exposition en 2021. Pourquoi cet engouement ? « Il a bien saisi son époque », avance Emily Kaplan, spécialiste chez Christie’s. « Il plaît à la génération Instagram, ajoute Grégoire Billault. A chaque fois ce ne sont pas une ou deux personnes qui bataillent aux enchères, mais cinq ou dix. »

Son marché se divise principalement entre l’Amérique et l’Asie. « Kaws fut l’un des premiers à se rendre au Japon qui, dans les années 1990, était un laboratoire des tendances, ajoute Isaure de Viel Castel, spécialiste chez Phillips. C’est à Tokyo qu’il a compris l’attraction que les jouets exercent sur les collectionneurs. » Des joujoux pour adultes qui valent chers : en avril dernier, Artcurial a cédé l’un de ses personnages fétiches, Companion, édité à cent exemplaires pour 106 600 euros.

Un prix de vente quatorze fois l’estimation

Le marché de Kaws n’a vraiment décollé qu’en 2008, quand il a rejoint la Galerie Perrotin. La même année, une première œuvre passe aux enchères chez Phillips. En 2014, Sotheby’s cède une première partie de la collection de l’entrepreneur japonais Nigo. Une de ses sculptures décroche quatorze fois son estimation. C’est le début de la flambe. En 2017, une exposition itinérante commencée à Dallas (Texas) fait étape au Yuz Museum de Shanghaï. Un an plus tard, une première toile dépasse le million de dollars à Londres. Ses vingt plus gros prix datent d’ailleurs de 2018, jusqu’au record insensé de 2019. Selon Skarstedt, qui le représente à Londres et New York, ses prix en galerie se situent entre 100 000 et 450 000 dollars.

Bien que l’ascension de Kaws coïncide avec celui du Britannique Banksy, un monde les sépare. « On ne peut pas les comparer, abonde Isaure de Viel Castel. Banksy n’a pas de galerie, Kaws en a deux puissantes, Perrotin et Skarstedt. Banksy est disruptif, et il ne se conforme pas au marché de la même façon que Kaws, qui en épouse chaque aspect. » Car l’artiste est aussi collectionneur, amateur éclairé de Peter Saul et Mike Kelley. Des figures de la contre-culture, qui lui permettent peut-être d’oublier qu’il est lui-même devenu un produit de masse.

Monaco Sculptures, 19 juillet, www.artcurial.com