Devant le ministère de l’économie, à Paris, le 2 juillet 2019. / STEPHANE DE SAKUTIN / AFP

Après la marche funèbre et le strip-tease, les personnels des urgences en grève depuis le mois de mars ont de nouveau tenté de marquer les esprits lors d’une journée de mobilisation nationale, mardi 2 juillet, en s’injectant un produit présenté comme de l’insuline devant le ministère de la santé, à Paris.

Rassemblés à l’appel de l’intersyndicale et du collectif L’Inter-Urgences, à l’origine du mouvement, plusieurs centaines de manifestants ont rejoint les bureaux de la ministre de la santé, Agnès Buzyn, en milieu d’après-midi. Alors qu’une délégation était reçue par le directeur adjoint du cabinet de la ministre, Yann Bibien, pour réclamer des moyens supplémentaires après l’annonce du déblocage d’un fonds de 70 millions d’euros, treize manifestants se sont assis devant les locaux de l’avenue Duquesne et ont annoncé s’injecter, toutes les cinq minutes, ce qu’ils ont présenté comme de l’insuline, substance qui peut faire baisser drastiquement le taux de sucre dans le sang et même être mortelle à forte dose.

Selon un membre du collectif L’Inter-Urgences, les manifestants se sont injecté cinq à sept fois cinq unités rapides d’insulines, avant d’être interrompus par l’arrivée de policiers venus entourer les participants pour les mener à l’écart de la mobilisation. « Treize personnes présentant des traces d’injection ont été prises en charge », a, de son côté, déclaré à l’AFP le ministère de la santé. Celles-ci n’ont pas souhaité être transportées vers des hôpitaux après des tests de glycémie « normaux », selon le ministère, ce qui n’exclut pas l’utilisation d’« insuline retard », à effet différé. Une vingtaine de personnes ont été brièvement interpellées avant d’être laissées libres par les CRS présents sur place.

« Ce matin, on avait 25 patients pour 11 lits disponibles »

L’action a « provoqué l’interruption immédiate des discussions avec le ministère », selon Benoît, membre du collectif L’Inter-Urgences présent lors de la réunion avec les représentants de Mme Buzyn. L’infirmier, présent au nom des soignants d’Annecy et qui souhaite rester anonyme, a déploré à sa sortie de la réunion « une absence d’avancées » et « aucune nouvelle annonce » pour répondre aux revendications des manifestants. Ils demandent notamment une prime supplémentaire de 200 euros et suffisamment de moyens pour assurer qu’aucun lit-brancard ne subsiste dans les services d’urgences.

Venus de Saint-Nazaire, Vichy, Valence ou Brest pour participer à la manifestation parisienne, les soignants sont partis dès la fin de matinée du ministère de l’économie, dans le 12e arrondissement de la capitale. « Ce matin, on avait 25 patients pour 11 lits disponibles », déplorait avant le départ du cortège Annette Cognet, infirmière depuis vingt-sept ans au centre hospitalier de Vichy. « Pour nous, c’est l’annonce de la suspension d’une de nos deux lignes SMUR [service mobile d’urgence et de réanimation] qui a fait déborder le vase, a-t-elle expliqué. On est débordés tous les jours et les moyens diminuent, c’est inacceptable. »

Avec elle, une quinzaine d’infirmières et d’aides-soignantes de l’Allier ont fait le trajet pour continuer à dénoncer la détérioration de leurs conditions de travail. « Aujourd’hui, je suis en repos, mais, sans cette manifestation, je serais auprès des mes collègues pour les aider à faire face au nombre de patients, a expliqué David Dall’Acqua, chef de service des urgences de Vichy, également présent à Paris. On est constamment en sous-effectif et même pendant la grève le nombre minimum de soignants n’est pas respecté. »

Des personnels des urgences s’injectent un produit présenté comme de l’insuline devant le ministère de la santé, à Paris, lors d’une mobilisation nationale, le 2 juillet. / Simon Auffret / Le Monde

« Notre mobilisation fait écho à celle des “gilets jaunes” »

Près de quatre mois après le début du mouvement de grève, la mobilisation continue à rassembler des soignants jeunes, nombreux à ne pas être syndiqués et qui participent, pour certains, à leur premier mouvement social. « Il n’y avait jamais eu de grèves dans mon service », confiait Laurent Rubinstein. A 29 ans, l’infirmier aux urgences pédiatriques de l’hôpital Robert-Debré, à Paris, a décidé d’appeler tous les hôpitaux de son territoire pour les inviter à participer à la manifestation de mardi. « On crée des groupes WhatsApp, on discute directement d’établissements à établissements. C’est ce que permet la dynamique lancée par le collectif L’Inter-Urgences. »

« Dans la forme peut-être plus que dans le fond, notre mobilisation fait écho à celle des “gilets jaunes” », abondait Antoine Moulinas, infirmier anesthésiste de l’hôpital Beaujon, à Clichy (Hauts-de-Seine). « On s’organise par nous-mêmes et on s’accorde sur des revendications essentielles, c’est ce qui fait notre force », assurait l’ancien syndiqué, dessinant en creux une critique de la prise d’initiatives des syndicats face à des « problèmes constatés depuis des années ».

En fin de journée, plusieurs porte-parole des soignants ont déclaré vouloir continuer la mobilisation. « Que Mme Buzyn n’accepte pas de nous recevoir après quatre mois de mouvement, c’est inacceptable, a asséné au micro un représentant du collectif L’Inter-Urgences. Si cela ne change pas, c’est à Edouard Philippe que nous allons nous adresser. La prochaine étape, c’est Matignon ! »