Manifestation contre la Russie et le gouvernement géorgien, à Tbilissi, le 29 juin 2019. / Shakh Aivazov / AP

Vous ne pouvez plus vous rendre dans la douce Géorgie, à la découverte de ses plages, de son vin sucré et de l’hospitalité légendaire de ses habitants ? Aucun problème, Ural Airlines vous emmène aux confins de l’Extrême-Orient russe, sur les rives froides, truffées d’ours et de moustiques de la mer d’Okhotsk ! Autant dire que la « proposition commerciale » d’une compagnie aérienne russe, en pleine période estivale, en a fait sursauter plus d’un en Russie.

A ses clients qui avaient réservé un vol pour Batoumi, cité au doux climat des rives de la mer Noire, très prisée des touristes russes, la compagnie propose ainsi, dans un message publié mardi 2 juillet sur les réseaux sociaux, de s’envoler pour la légèrement moins glamour Magadan, située à peu près en face de l’Alaska.

Hormis ce choix de communication un peu hasardeux, la compagnie aérienne n’est pas directement à blâmer. L’interdiction des vols entre la Russie et la Géorgie a été prise par Vladimir Poutine lui-même, fin juin, avec effet à partir du 8 juillet. Le président russe réagissait aux troubles survenus à Tbilissi après l’intervention, dans l’enceinte du Parlement géorgien, d’un député russe nationaliste venu ouvrir une conférence « panorthodoxe ». Pour mémoire, Moscou et Tbilissi ont été en guerre durant l’été 2008 et l’armée russe occupe toujours 20 % du territoire géorgien, à savoir les territoires de l’Abkhazie et de l’Ossétie du Sud, reconnus comme indépendants par le Kremlin.

Spectaculaire crise de voisinage

Si les manifestations à Tbilissi ont tourné, le soir du 20 juin, à l’émeute et que la crise politique y persiste, aucune hostilité à l’encontre des ressortissants russes en Géorgie n’a été constatée dans le pays, visité chaque année par plus de 1,5 million de touristes russes. De l’avis de nombre d’observateurs, Vladimir Poutine s’offrait plutôt, en faisant monter la tension, une spectaculaire crise de voisinage à peu de frais, et ce alors que sa cote de popularité continue de s’enfoncer. Parallèlement, les services sanitaires russes ont à nouveau dégainé leur arme favorite et constaté des manquements dans la production de vin géorgien, laissant entrevoir un énième embargo.

L’épisode « Magadan » illustre à la perfection l’absurdité de cette crise russo-géorgienne artificiellement gonflée. Peut-être même la compagnie entendait-elle par cette action témoigner sa mauvaise humeur au Kremlin – ou plus simplement créer un buzz, aussi négatif fût-il. Car dans l’inconscient russe, Magadan reste étroitement associée au Goulag. Construit par des prisonniers en 1929, le port est devenu la porte d’entrée de la région de la Kolyma, remplie de camps de travail, et le point de départ de la sinistre « route des os ». A titre de comparaison, Magadan pourrait être l’équivalent, dans l’imaginaire collectif français, du bagne de Cayenne, palmiers en moins.

« Au moins, avant, le voyage était gratuit »

Jamais avares de facéties, les réseaux sociaux russes n’ont pas manqué de relever ce choix étrange d’Ural Airlines et son parfum de soviétisme. Parmi des dizaines de messages incrédules, un internaute relevait avec ironie qu’« au moins, avant, le voyage était gratuit ». Un autre internaute parodiait le ton officiel et pompeux associé aux châtiments en URSS et proclamait : « Ceux qui ont voulu visiter la Géorgie seront envoyés à Magadan. » D’autres rappelaient que le nombre de citoyens interdits de quitter le territoire russe pour diverses raisons ne cesse de grandir.

Côté géorgien, la stratégie n’a pas changé : comme tous ceux concernant la crise russo-géorgienne, les posts et les articles consacrés à cette péripétie aéronautique sont accompagnés de dizaines de commentaires assortis de cœurs invitant les touristes russes à continuer à se rendre dans « l’irremplaçable » Géorgie et proposant, pour les plus enthousiastes, des hébergements gratuits.