Dans les gradins du vieux stade Ouaguenouni, sur les hauteurs d’Alger, les spectateurs ont regardé sur grand écran le Tanzanie-Algérie, où les Fennecs ont écrasé les Etoiles du Kilimandjaro 3-0, le 1er juillet 2019 lors de la CAN 2019 en Egypte. / Ali Ezhar

« Ce n’est pas un match de foot qu’on vient de voir, c’est un film ! » Dans les travées vieillies du stade Ouaguenouni, sur les hauteurs d’Alger, le public n’arrête pas de sautiller en lançant des « cinéma, cinéma, cinéma ! ». « C’est une image, ça veut dire qu’ils jouent super bien », explique Mourad, la trentaine, totalement surexcité. Et le mot est faible. Lundi 1er juillet, les Fennecs viennent de punir la Tanzanie (3-0), trop limitée dans son jeu. Face aux Etoiles du Kilimandjaro (Taifas Stars), les Algériens continuent d’épater, même avec une équipe B alignée pour ce troisième et dernier match de poule, histoire de faire souffler les titulaires qui avaient assuré la qualification pour les huitièmes de finale.

Pendant quatre-vingt-dix minutes, des centaines de supporteurs se sont massés dans cette arène « vintage » qui rappelle les années 1970, devant un écran géant installé à l’occasion de la Coupe d’Afrique des nations (CAN). Plus aucune chaise n’est disponible pour s’asseoir. Certains grimpent sur un pylône pour mieux voir l’écran. Le stade déborde. Les marchands d’écharpes se faufilent pour écouler leurs stocks et les vendeurs de thé n’ont déjà plus rien à proposer. Les enfants sont maquillés en vert et rouge, les couleurs nationales : les petits garçons font de la trottinette, les fillettes jouent au foot avec une bouteille en plastique. Anciens et jeunes ne quittent pas des yeux le match, comme hypnotisés par les images de Bein Sports Moyen-Orient et par les commentaires enivrants d’Issam Chaouali, journaliste extrêmement réputé dans le monde arabe.

Devant le satde Ouaguenouni, sur les hauteurs d’Alger, avant la retransmission du match Algérie-Tanzanie (3-0), le 1er juillet 2019 lors de la CAN 2019 en Egypte. / Ali Ezhar

Bouillant et euphorique, le public vit chaque action, chaque passe lumineuse, chaque dribble dévastateur comme s’ils étaient sur la pelouse. Et gare à celui qui rate un contrôle ou un tir : les supporteurs, « chambreurs », n’hésitent pas à le traiter d’« âne ». Mais, au moindre but, c’est l’explosion de joie : fumigènes et feux d’artifice. On danse au son étourdissant de la darbouka. Et la chaleur humide n’aide pas à faire redescendre la fièvre verte du soir… Les « guerriers du désert » ont donné du spectacle, à l’image d’Andy Delort, attaquant de Montpellier tout juste naturalisé algérien, désormais adopté par le pays. « Ces joueurs m’impressionnent. Trois matches, trois victoires, ça n’était jamais arrivé depuis 1990, lorsqu’on avait remporté la CAN, souligne Djamel, la petite cinquantaine. Je trouve que l’équipe des remplaçants de ce soir joue un peu mieux que celle des titulaires. C’est de bon augure pour la suite. »

« Ça fait du bien au moral »

Depuis le Mondial 2014, l’Algérie n’avait jamais aussi bien taquiné le cuir et « ça fait du bien au moral », ajoute Djamel. Evidemment, en cette période révolutionnaire, les bons résultats de l’équipe nationale réconfortent une partie du peuple. Mais, lorsqu’on parle de football, la politique n’est jamais loin.

Avant le début du match, deux clips – à peine audibles – sont diffusés, dont celui de Tarek El-Kolei qui dédie sa chanson, « Tiki Taka », aux Fennecs tout en reprenant des images des immenses marches du vendredi. Impossible désormais de dissocier l’équipe nationale et cette révolution pacifique qui a poussé Abdelaziz Bouteflika à démissionner, le 2 avril, après vingt ans de règne.

Toujours avant le coup d’envoi, des dizaines de supporteurs de l’Union sportive de la Médina d’Alger (USMA), connus pour leurs chants hostiles au « système », ont fredonné « La Casa del Mouroudia ». Ce titre évoque la résidence du chef de l’Etat, située sur les hauteurs de la capitale, tout en se référant à la série espagnole au succès planétaire La Casa de papel. Il s’est imposé comme l’un des hymnes des manifestations populaires. Puis ils ont entamé une autre chanson destinée au général de l’Armée de libération nationale (ALN), qui contrôle aujourd’hui le pays : « Sorry, sorry Gaïd Salah, le pays n’est pas naïf, on a dit qu’ils partent tous ! » Etrange coïncidence. C’est à ce moment que la sono est poussée au maximum, camouflant ces slogans inamicaux.

Dans les gradins du vieux stade Ouaguenouni, sur les hauteurs d’Alger, les spectateurs ont regardé sur grand écran le Tanzanie-Algérie, où les Fennecs ont écrasé les Etoiles du Kilimandjaro 3-0, le 1er juillet 2019 lors de la CAN 2019 en Egypte. / Ali Ezhar

Désormais la question est de savoir si, en cas de victoire finale, le « système » va être tenté par une récupération. « Il y a encore quelques mois, j’aurais dit oui, évidemment. Mais aujourd’hui, avec ce qu’il se passe, ça va être l’effet inverse, devine Djamel, qui retouche ses petites lunettes. Le peuple sait, le système ne va rien pouvoir récupérer. »

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