Peu de Suédois connaissaient l’existence du supermarché de l’enseigne Ica à Överkalix, petite commune de 3 300 habitants dans le nord du pays, à un millier de kilomètres de Stockholm. Une décision prise par sa direction, fin mars, a tout changé. Quelques jours plus tard, son patron, David Larsson, donnait des interviews à presque tous les grands médias du royaume.

Joint au téléphone, il raconte :

« J’étais au rayon boissons, en train de remplir les étagères avec des collègues, quand on a commencé à discuter de ce qu’on pourrait faire pour contribuer positivement au développement local. J’ai proposé de supprimer la TVA sur les protections hygiéniques. Tout le monde trouvait que c’était une bonne idée. »

Propriétaire de son magasin, David Larsson a pu prendre cette décision unilatéralement : ni une ni deux, les étiquettes sont changées et les prix sur les tampons et serviettes baissés de 25 %.

Un des taux de TVA les plus élevés du monde

Le commerçant, qui a une trentaine d’années, venait de lire un article sur un Etat américain ayant pris une initiative en ce sens. En Suède, malgré diverses campagnes et mobilisations des ONG, la TVA sur les protections hygiéniques est toujours à 25 %, l’un des taux les plus élevés du monde. Pour David Larsson, c’est une injustice :

« Les femmes n’ont pas choisi de naître femmes et d’avoir leurs règles tous les mois. »

Pour son supermarché, le manque à gagner est d’environ 2 000 couronnes (200 euros) par mois. Mais les réactions « à 99 % positives » compensent, dit-il : « Les clientes, ravies, viennent nous féliciter. Sur les réseaux sociaux, beaucoup disent qu’elles aimeraient que leur supermarché fasse la même chose. » Il y a bien eu quelques grincheux, « tous des hommes, qui estiment que c’est injuste, car eux payent plein pot la TVA sur la crème à raser. Ils semblent oublier qu’un certain nombre d’entre eux ont des filles », remarque David Larsson.

Le patron espérait que son initiative inspirerait des collègues et entraînerait une discussion. Peut-être même un changement de la loi. Il n’en fut rien. Le débat est au point mort. « Ce n’est pas considéré comme une priorité en Suède », regrette Antonia Simon, présidente de l’association Mensen (« Les règles » en français).

6 % pour un entraîneur personnel

En 2018, plusieurs ONG, dont Mensen, avaient lancé une pétition en ligne rappelant que le taux de TVA dans la restauration était de 12 % et de 6 % pour un entraîneur personnel. « Ce sont des choses que vous pouvez choisir de faire – des choses que vous pouvez vous offrir », rappelait le texte, tandis que les protections menstruelles sont « une nécessité ». Signée par 6 500 personnes, la pétition demandait la suppression de la taxe, ou que la Suède imite la France, où la TVA sur les protections hygiéniques a été rabaissée à 5,5 % en 2016.

A l’époque, les ONG ont rencontré la ministre de l’égalité hommes-femmes. Dirigé par le social-démocrate Stefan Löfven, le gouvernement suédois se présentait alors comme le « premier gouvernement féministe du monde ». Et pourtant, la ministre a opposé une fin de non-recevoir. « Il y a encore beaucoup d’ignorance sur les règles, qui restent un sujet tabou, qu’on préfère ne pas discuter, ni dans la sphère privée, ni dans l’espace public », estime Antonia Simon. Et le « mensaktivism » (activisme menstruel), en pleine expansion ces dernières années en Suède, ne semble rien y faire.

Lassée de cet immobilisme, la chaîne de pharmacie Hjärtat, premier groupe pharmaceutique privé en Suède, a elle aussi décidé d’agir. Au printemps 2018, elle a lancé une campagne intitulée « Har du moms, eller ? » – en français : « T’as ta TVA, ou quoi ? » – jouant sur les mots « moms », la TVA, et « mens », les règles. Et dans les 390 magasins de la chaîne, les protections hygiéniques de la marque éponyme ont vu leur prix baisser de 25 %. « Pour nous, c’est un investissement dans la santé des femmes et leur bien-être, affirme Annika Svedberg, la PDG de Hjärtat. Nous espérions que cela entraînerait une réforme de cette taxe injuste, tant d’un point de vue de l’égalité, mais aussi parce que plusieurs produits hygiéniques sont une nécessité, comme la nourriture. »

« Cela nous concerne tous »

Johan Salvén est responsable d’une pharmacie Hjärtat à Lund, ville universitaire du sud du pays. Si les clientes ont été ravies, les hommes, regrettent-ils, n’ont guère réagi, « comme si ce n’était pas leur affaire », ce qu’il a dû mal à comprendre : « Je n’ai pas de fille, mais une femme que j’aime. Cela nous concerne tous. » Il pensait que l’initiative serait reprise ailleurs : « Quand une chaîne lance une campagne, les autres ne tardent pas à l’imiter habituellement. » Pas cette fois.

Dans la boutique, un petit signe indique que les produits de la marque Hjärtat coûtent toujours 25 % moins cher que ceux de ses concurrents. Selon Lilli Zaar, technicienne, ils sont particulièrement prisés des étudiantes, qui viennent souvent à la pharmacie pour n’acheter que des protections hygiéniques.

A 35 couronnes, les deux paquets de vingt serviettes, « ça fait une sacrée différence notamment pour les petits budgets », remarque-t-elle. Surtout quand on sait que les femmes dépenseront entre 15 000 et 70 000 couronnes sur la durée de leur vie en tampons et serviettes, selon une enquête. Et c’est sans compter les antidouleurs pour celles qui souffrent de dysménorrhées.

#RèglesNonDites, le projet

France, Kenya, Inde, Suède, Corée du Sud, Allemagne ou Burkina Faso. Dans une série de reportages, nous avons voulu montrer comment la précarité menstruelle touche les femmes les plus vulnérables dans le monde.

De quoi parle-t-on, combien de femmes sont concernées, quelles politiques publiques sont mises en place alors que ce sujet est depuis peu inscrit à l’agenda politique en France ?

Les règles restent un sujet dont on parle peu dans la sphère publique. Or, mettre des mots sur un tabou permet de réduire les risques, potentiellement dévastateurs, liés à l’ignorance et aux fantasmes.