Comme « Pokémon Go » ou « La Carte aux trésors » avec Sylvain Augier, « Wizards Unite » se joue avec un plan. / Niantic

Trois millions d’utilisateurs en trois jours et un peu plus d’un million de dollars de recettes : d’autres se satisferaient sans peine des scores de Harry Potter : Wizards Unite, le jeu mobile du studio Niantic, sorti le 21 juin aux Etats-Unis et en Grande-Bretagne (et le 23 juin en France).

Seulement voilà : Niantic, c’est le studio californien qui s’était rendu responsable en 2016 de ce qui fut sans doute le phénomène le plus incroyable du jeu mobile, ou en tout cas le plus rentable. A l’époque, Pokémon Go avait en effet séduit 24 millions de joueurs en quatre jours, rapportant la somme de 28 millions de dollars. Trois ans plus tard, Pokémon Go a dépassé les 200 millions de dollars de recette, là où Harry Potter : Wizards Unite, selon les analystes du site Sensor Tower qui rapporte ces chiffres, ne devrait pas dépasser les dix millions.

Le constat est sans appel : en France, dans la boutique de Google, Harry Potter : Wizards Unite n’est que la 33e application qui rapporte le plus d’argent aujourd’hui, là où Pokémon Go, malgré son âge vénérable, reste la 13e.

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Durée : 03:01

Un enthousiasme relatif

Comment expliquer ce relatif désamour ? Au moment de la sortie de Wizards Unite, une journaliste du site spécialisé Kotaku s’enthousiasmait pourtant pour le jeu de Niantic, reconnaissant même en être « passionnée » : « Le jeu est soigné, il y a beaucoup de choses à faire, et parfois, il vous donne vraiment l’impression d’être un magicien. » Elle explique ainsi que le jeu se déroule de nos jours, soit vingt ans après les événements racontés dans les livres, alors que la frontière entre le monde des « moldus » (le nôtre) et celui des sorciers est menacée par la Calamité. A cause de ce sort mystérieux, les gens, les objets et les souvenirs voyagent dans le temps et sont prisonniers de notre monde : c’est au joueur, armé de son téléphone, d’aller se promener dans les rues pour les libérer.

« Une partie du plaisir vient du fait de voir comment le monde des sorciers se répand dans le nôtre. » Elle résume : « Ça ressemble beaucoup à Pokémon Go, mais en mieux. » Le mérite en revenant notamment au système de combat. Selon elle, ceux contre les « sorciers sombres » sont particulièrement gratifiants : « Ils ne sont pas évidents au premier abord, mais une fois qu’on a compris le truc, il s’installe dans un rythme façon partie de ping-pong qui donne vraiment l’impression de jeter des sorts. »

L’empressement de ces deux créatures à voler ce chapeau peut paraître un peu suspect à celui ou celle qui n’a pas vu les films. / Warner Bros

Après une semaine de tests, le site spécialisé IGN est lui aussi plutôt « agréablement surpris ». « Les multiples couches d’exploration et de collection de créatures me motivent toujours à jouer tous les jours… en tout cas pour l’instant », nuance le journaliste. Celui-ci reconnaît en effet que le jeu n’est pas sans défaut, et que le joueur débutant peut se sentir un peu perdu, « ce qui est dommage, parce qu’au bout du compte, Wizard Unite n’est pas si compliqué ». L’histoire, bien qu’un peu « idiote », n’est selon lui « pas inintéressante » et a de quoi intéresser les fans d’Harry Potter.

Il trouve en outre que le jeu améliore les mécaniques de Pokémon Go et encourage « de manière très astucieuse, à continuer de jouer même après avoir trouvé pour la vingtième fois » le même objet, que les passages en réalité augmentée sont très réussis. Il se félicite aussi de l’existence de séquences en multijoueurs dans lequel il faut capturer des forteresses. Un bémol de taille tout de même : lors de sa semaine de test, il n’a trouvé aucun autre joueur pour tenter une capture avec lui. 2016 et ses parcs remplis de joueurs de Pokémon Go semble bien loin.

En France, le test de jeuxvideo.com est lui aussi mi-figue mi-raisin. Le journaliste attribue à Wizards Unite une note de 15/20 dont bon nombre de bacheliers se satisferaient aisément, et parle d’une intégration de la réalité augmentée qui fonctionne « plutôt bien », ainsi que d’un système de capture « plutôt agréable », tout en qualifiant de « petite déception » le fait que les animaux à capturer n’apparaissent pas sur la carte. Il exprime tout de même des doutes, évoque un jeu « sympathique mais encore en rodage », des rencontres « un peu fades » et une progression qui « pousse trop à l’achat ».

Nouveauté par rapport à « Pokémon Go », la possibilité de visiter des décors en réalité augmentée en entrant dans des portails tout à fait mystérieux. / Warner Bros

La dent dure

Dans la presse généraliste, on retient moins ses coups. Le Hollywood Reporter n’est pas tendre, et rapporte que de nombreux joueurs se plaignent que Wizards Unite, parce que sa carte est basée sur la position GPS du joueur, est beaucoup moins intéressant à jouer dans les zones rurales. « Un problème qui frappait aussi Pokémon Go à sa sortie en juillet 2016 », avance-t-il. Il regrette l’existence d’un « paywall » – un terme vidéoludique désignant ce stade dans un jeu dans lequel il devient impossible de progresser dans le jeu à un rythme raisonnable sans payer.

Un contributeur de Forbes trouve également que Niantic tire trop sur la corde de la monétisation : si le jeu est gratuit, il encouragerait trop souvent les joueurs à sortir la carte bleue pour accéder à des bonus payants. Il faudrait ainsi payer pour agrandir un inventaire trop petit, payer pour fabriquer des potions plus rapidement, payer encore pour trouver les créatures les plus rares. Au point que cela serait « épuisant pour les joueurs, et susceptible de les convaincre d’arrêter de jouer ». Il ajoute :

« Harry Potter : Wizards Unite n’a pas de loot boxes [pochettes-surprises virtuelles], mais il demande beaucoup plus souvent au joueur de payer que Pokémon Go à son lancement (…). C’est vraiment moche, et ça pourrait le couler. (…) Wizards Unite ne sera ni fun ni populaire s’il persiste dans cette voie. Il doit être changé en profondeur. »

Ce spectre menace normalement le sympathique Harry Potter, invisible ici car il a bien fallu recadrer cette inélégante capture d’écran verticale. / Warner Bros

Un autre contributeur de Forbes trouve que l’histoire est à la fois complexe et sans grand intérêt, et « qu’elle ne plaira qu’aux fans les plus pointus d’Harry Potter ». Problème : ceux-là ne sont, selon lui, pas nécessairement de grands adeptes de jeux vidéo. Pour lui, le public cible de Wizards Unite, c’est quelqu’un qui serait à la fois « un fan d’Harry Potter suffisamment impliqué pour s’intéresser à cet univers compliqué, un fan de jeux vidéo capable de comprendre ces systèmes de jeux compliqués, et un fan de jeux mobile prêt à passer outre son modèle économique frustrant et agressif ». Trois populations qui ne se recoupent pas nécessairement.

Ce même contributeur a décidément la dent dure : « Wizards Unite n’est définitivement pas le nouveau Pokémon Go ». Pour lui, le nouveau jeu de Niantic était de toute façon condamné à échouer, l’univers d’Harry Potter n’étant pas adapté aux mécaniques de jeux héritées de Pokémon Go. Capturer cinq Pikachu dans la journée ? Pourquoi pas. Mais, se demande-t-il, « pourquoi je suis tombé cinq fois sur Ron Weasley aujourd’hui ? Difficile à dire ».