Marche en hommage à Zineb Redouane, le 2 mars 2019. / DAVID ROSSI / PQR / MAXPPP

Sept mois après le décès de Zineb Redouane, 80 ans, atteinte au visage par une grenade lacrymogène à la fenêtre de son appartement lors d’une manifestation de « gilets jaunes » à Marseille, ses proches déplorent que le policier qui a tiré ne soit toujours pas identifié.

Mme Redouane est morte à l’hôpital, le 3 décembre 2018, deux jours après avoir été grièvement blessée par une grenade alors qu’elle fermait les volets de son appartement situé au 4e étage d’un immeuble rue des Feuillants (1er arrondissement). En bas de son immeuble, de violents incidents avaient éclaté après des manifestations de « gilets jaunes », mais aussi contre l’habitat insalubre et pour le climat.

Fin janvier, les enquêteurs de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN), la « police des polices », ont entendu les cinq CRS dotés de lanceurs de grenade qui se trouvaient sur les lieux, ainsi que le capitaine qui les dirigeait. Après avoir regardé les images de vidéosurveillance, aucun n’a désigné le tireur ou n’a reconnu avoir tiré.

Au total, 200 grenades ont été tirées ce samedi 1er décembre, a relaté leur chef au cours de ces auditions, dévoilées par Mediapart mardi 2 juillet, et dont l’Agence France-Presse (AFP) a eu connaissance. Sur les images, un CRS fait un tir « en cloche », en direction de l’immeuble de Zineb Redouane à l’angle de la Canebière, puis quelques secondes après prend du recul et regarde à plusieurs reprises en hauteur, face à lui. Trois policiers ont récusé apparaître – dont l’un car il portait une barbe et un autre une cagoule et des lunettes, alors que le CRS n’en a pas sur les images – et deux ne se prononcent ni dans un sens ni dans l’autre.

« Ces policiers, qui n’ont même pas été placés en garde à vue contrairement à l’usage, savent qui a tiré et font preuve d’une mauvaise foi évidente », a déclaré à l’AFP l’un des avocats de la famille Redouane, Me Yassine Bouzrou.

Le numéro de la grenade qui a touché Mme Redouane, retrouvée dans l’appartement, ne permet pas non plus d’identifier le tireur, car il s’agit d’une munition « de remplacement », après l’épuisement d’un premier stock, selon ces auditions.

Dépaysement des investigations

Les fonctionnaires, expérimentés, ont assuré s’être abstenus de tout tir tendu, conformément à la législation. Selon la fille de Zineb Redouane, rapportant des propos de sa mère au téléphone au moment de l’impact, un policier l’aurait, au contraire, regardée et visée.

De leur côté, les CRS ont insisté sur le climat particulièrement violent ce soir-là à Marseille : « C’est l’un des maintiens de l’ordre les plus durs que j’ai eu à gérer », explique l’un, tandis qu’un autre se rappelle qu’il n’était « pas sûr [d’en] sortir indemne ».

Les proches des victimes attendent désormais le dépaysement des investigations, sur lequel la Cour de cassation doit se prononcer rapidement. En cause, notamment, la présence d’un vice-procureur de Marseille sur le terrain, aux côtés des policiers, le soir du drame. Cette présence a été signalée par les policiers lors de leurs auditions et est donc « connue de l’autorité judiciaire depuis le 25 janvier », a souligné Me Bouzrou. Ce vice-procureur a été chargé du début de l’enquête, et le procureur général n’a accepté d’enclencher le dépaysement de l’enquête qu’en juin, s’indigne-t-il.

Un écueil judiciaire de plus selon l’avocat, qui met en cause « l’impartialité » de la justice marseillaise dans cette affaire sensible, depuis la première enquête, ouverte par le parquet pour « recherche des causes de la mort », jusqu’au traitement de sa plainte pour « violences volontaires ayant entraîné la mort sans intention de la donnée », déposée au nom de la fille de Mme Redouane pour faire avancer l’enquête.

Mardi, un autre élément s’est ajouté au puzzle : une autopsie réalisée par la justice algérienne, le pays d’origine de Mme Redouane. Ses conclusions, dévoilées par Le Média, établissent que le « traumatisme [facial] est directement responsable de la mort par aggravation de l’état antérieur […], malgré les soins ».

« J’espère que cette expertise va faire bouger les choses », a commenté Brice Grazzini, autre avocat des proches, qui va la faire verser à l’instruction. Selon lui, la première autopsie à Marseille, qui s’abstenait de trancher l’origine du décès de Mme Redouane, faute d’éléments suffisants notamment sur ses antécédents médicaux, témoignait d’un « manque de diligence ».