« Où est Steve ? » Ce cri de rage continue de se propager sur Twitter comme il se déploie sur une banderole installée devant la préfecture de Loire-Atlantique, mercredi 3 juillet. Elle réclame « justice » et « vérité ».

A Nantes, l’onde de choc causée par l’intervention policière visant à disperser une soirée techno organisée sur un quai dépourvu de parapet durant la nuit de la Fête de la musique, vendredi 21 juin, ne retombe pas. L’opération musclée a provoqué un mouvement de panique, et la chute d’une dizaine de personnes dans la Loire. Steve Maia Caniço, animateur périscolaire de 24 ans, qui participait à la fête, n’a plus donné signe de vie depuis cette date. L’hypothèse d’une chute fatale du jeune homme, qui ne savait pas nager, hante tous les esprits.

Marianne Rostan, avocate au barreau de Paris, a annoncé mercredi le dépôt d’une plainte contre X auprès du procureur de la République de Nantes pour « mise en danger de la vie d’autrui et violences volontaires par personnes dépositaires de l’autorité publique ». L’avocate, spécialisée dans la défense des organisateurs de rave parties, déclare avoir été saisie par « quatre-vingt-cinq personnes présentes sur les lieux lors de l’intervention des forces de l’ordre ».

Chiens policiers, grenades de désencerclement, LBD

Ce dépôt de plainte est apparu « indispensable » aux yeux de l’avocate, « le procureur de la République de Nantes n’ayant pas jugé bon de déclencher de lui-même une plainte pour les faits que nous dénonçons ». L’enquête qui suivra, note encore l’avocate, « ne doit pas se limiter à ces seules infractions et pourrait viser la qualification de non-assistance à personne en danger si on estime, au terme des investigations qui seront menées, que les moyens mis en place pour secourir les personnes n’ont pas été suffisants ».

Tous les plaignants affirment avoir été « submergés par un nuage de lacrymogène alors qu’ils dansaient et parlaient avec des amis ». La présence de chiens policiers, l’usage de grenades de désencerclement et de lanceurs de balles de défense (LBD) « ont généré un mouvement de panique qui a conduit [les participants] à courir sans savoir où ils se dirigeaient, puis à basculer et à chuter dans la Loire », décrit l’avocate.

« J’espère qu’il y aura une suite, mais je ne me fais pas beaucoup d’illusions, dit Aliyah, amie de Steve qui a porté plainte. Comment trouver des responsables ? Jamais les autorités n’oseront reconnaître qu’un détenteur de l’ordre a déconné. Mais on se battra pour faire éclater la vérité. »

Deux procédures relatives à ce dossier sont déjà en cours. Le parquet de Nantes a ouvert une information judiciaire pour disparition inquiétante. Et l’inspection générale de la police nationale (IGPN), saisie par le ministre de l’intérieur, Christophe Castaner, est chargée d’une enquête administrative destinée à établir les circonstances précises de l’intervention policière. Cette opération est décriée jusque dans les rangs de la police. « Peut-être que l’enquête démontrera qu’il y a eu des jets de projectiles de la part de participants à la soirée techno, poursuit Mme Rostan, mais il restera à démontrer que l’usage de la force a été proportionné. »

« Politique de l’autruche »

Une réunion en préfecture a été orchestrée mercredi avec les responsables de Freeform et Media’son, associations promouvant les événements de musique électronique. « Cela fait vingt ans que les sound systems participent à la Fête de la musique à Nantes, mais les autorités considèrent que la soirée s’apparente à un rassemblement festif illégal et aurait dû faire l’objet d’une déclaration », fustige Samuel Raymond, coordinateur de l’association Freeform, qui dénonce « le traitement particulier » dont pâtissent les amateurs de musique électronique, et « la politique de l’autruche des pouvoirs publics » visant à masquer la légèreté du dispositif de sécurisation prévu sur la soirée.

« Si cela avait été une soirée jazz, l’intervention policière ne se serait pas déroulée dans ces conditions », estime Victor Lacroix, développeur informatique et président de Média’son.

« Si cela avait été une soirée jazz, l’intervention policière ne se serait pas déroulée dans ces conditions », estime Victor Lacroix, développeur informatique et président de Média’son. « On ne parle de la question des rave parties que sous le prisme sécuritaire, on ne reconnaît pas le caractère culturel de ces manifestations, reprend Marianne Rostan. La Fête de la musique est un événement national qui permet à tout un chacun de s’exprimer sur les places publiques, on n’était donc absolument pas dans le cadre d’un événement illégal. »

La plainte collective pourrait être complétée par la saisie du Défenseur des droits et par une demande de saisie de l’inspection générale de l’administration (IGA). D’autres plaintes, à titre individuel, pourraient suivre. Notamment émanant de la famille du jeune homme disparu.

Le député de La République en marche Mounir Belhamiti, qui a succédé à François de Rugy à l’Assemblée nationale lorsqu’il est devenu ministre de l’écologie, a publié mardi sur Facebook une tribune cinglante pour éreinter, à tout le moins, les erreurs de communication du préfet de Loire-Atlantique à propos de la disparition de Steve Maia Caniço. « Lorsque la première réponse de l’Etat, par la voix de son représentant, et avant même que ne soit diligentée l’enquête de l’IGPN, consiste à déclarer, trois jours après les faits, que l’intervention policière s’est déroulée de manière proportionnée, je le dis sans ambages : l’Etat se met en faute, énonce M. Belhamiti. Parce que nul ne saurait considérer comme proportionnée une intervention qui conduit une dizaine de jeunes à se jeter dans la Loire. »