La Corée du Sud a décidé l’installation de distributeurs de protections hygiéniques dans les lycées pour lutter contre la précarité menstruelle. / SEOUL METROPOLITAN GOVERNMENT

#RèglesNonDites. Ce jour de 2016, s’inquiétant de l’absence d’une de ses élèves, une enseignante se rend au domicile de l’absente et découvre que l’adolescente ne voulait pas aller en classe à cause de ses règles : elle n’avait pas de quoi s’acheter des protections et avait utilisé différents moyens pour se protéger, notamment des semelles de chaussures.

Ce témoignage, partagé sur les réseaux sociaux, a suscité une grande émotion en Corée du Sud et amorcé une prise de conscience sur la précarité menstruelle à Séoul.

« Le gouvernement a été choqué de voir qu’une société aussi avancée que celle de la Corée du Sud n’était pas en mesure d’assurer un tel besoin », observe Kwon Su-jeong, ancienne hôtesse de l’air et syndicaliste de la compagnie Asiana, aujourd’hui dynamique élue du Parti de la justice (gauche) à l’assemblée métropolitaine de Séoul et très engagée sur la question.

Rapidement, des mesures ont été prises, comme l’installation de distributeurs de protections hygiéniques dans les lycées. Trois ans plus tard, la capitale sud-coréenne a reçu, lors d’un événement organisé du 24 au 26 juin à Bakou (Azerbaïdjan), le prix des services publics dans la catégorie égalité des genres. Et les efforts sont toujours en cours : l’assemblée métropolitaine devrait voter, le 28 août, la gratuité des protections pour toutes les adolescentes de la ville.

Gratuité des mouchoirs en papier

« Les gens ont compris que les règles étaient à la fois quelque chose de naturel et une question de santé, tout en représentant une dépense obligatoire et lourde », note Mme Kwon. En Corée du Sud, un paquet de dix serviettes coûte en moyenne 4 000 à 5 000 wons (de 3 à 3,80 euros). En supérettes de proximité, le prix peut atteindre 8 000 à 9 000 wons (jusqu’à 6,80 euros). Des prix parmi les plus élevés de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).

La question de la gratuité s’est alors posée. C’est à Séoul que la réflexion a vraiment été amorcée, suscitant des débats parfois douteux. Les opposants ont invoqué le principe d’égalité et demandé la gratuité des rasoirs pour les garçons, voire pour les mouchoirs en papier pour l’éjaculation. « Une femme m’a même demandé si je n’avais pas honte d’aborder cette question », se souvient Mme Kwon.

Malgré cela, la capitale a commencé par mettre en place au début de 2017 un système de distribution pour les adolescentes issues de milieux modestes, par l’intermédiaire des centres de santé locaux. Il n’a pas convaincu car, note Lee Soo-young, du département de la jeunesse au gouvernement métropolitain, « c’était administrativement compliqué, il n’y avait qu’un modèle et beaucoup de jeunes filles avaient peur d’être stigmatisées en exposant leur pauvreté ». A cela se sont ajoutées des inquiétudes sur la qualité des serviettes : quelque mois plus tôt, un scandale a révélé la présence de méthanol à des niveaux près de deux fois supérieurs à la limite autorisée dans les produits du fabricant Yuhan-Kimberly, qui dispose d’un quasi-monopole en Corée du Sud. Ce produit peut provoquer des maux de tête, des étourdissements ou des nausées, voire, à haute dose, le décès.

A la fin de 2017, les choses ont finalement évolué avec la création d’un système de carte de paiement. Attribuée selon des critères sociaux – si la jeune fille bénéficie de la gratuité de l’école par exemple –, elle est à usage unique. « Les autorités versent chaque année, en deux fois, 120 000 wons (91,20 euros) sur cette carte, financée à 30 % par le gouvernement, 35 % par la ville et 35 % par les arrondissements », explique M. Lee.

Avec cette carte, les adolescentes peuvent acheter le modèle qu’elles souhaitent, en magasin ou sur Internet. En 2017, 20 000 des 390 000 adolescentes de 11 à 18 ans de Séoul pouvaient prétendre au dispositif et 69,5 % ont fait la demande, détaille M. Lee.

Société conservatrice

Dernière étape en date, favorisée également par les suites du mouvement #metoo, la capitale a fini par permettre la gratuité des protections pour toutes les adolescentes sans distinction. Mais, regrette Mme Kwon, « Séoul est la seule autorité locale à le faire en Corée du Sud… Espérons que les autres suivront ». Elle déplore également que toutes les femmes, peu importe leur âge, ne soient pas concernées, en particulier celles qui vivent dans la rue.

Des progrès sont aussi attendus en matière d’éducation, dans une société toujours conservatrice. « Quand j’étais petite, des publicités à la télévision pour des serviettes étaient inimaginables car les opposants trouvaient que c’était trop sexualisé. Je ne savais rien du fonctionnement du système reproductif », explique Shin Kyong-ah, trentenaire dirigeant un hagwon, une école de cours du soir. Pour elle, la question était un véritable tabou il y a encore peu de temps.

Et elle reste délicate, même si les lycéennes elles-mêmes en parlent assez librement. « J’ai eu une séance à l’école. On m’a dit des choses très générales que je savais déjà. Pour les protections, il n’y avait rien sur les modèles, les formes selon le corps », détaille Park Su-min, du lycée Gaepo. « Pour les distributeurs, c’est pareil, la direction n’a pas informé de leur installation. Nous les avons découverts par nous-mêmes », ajoute sa camarade, Park Hye-jim.

#RèglesNonDites, le projet

France, Kenya, Inde, Suède, Corée du Sud, Allemagne ou Burkina Faso. Dans une série de reportages, nous avons voulu montrer comment la précarité menstruelle touche les femmes les plus vulnérables dans le monde.

De quoi parle-t-on, combien de femmes sont concernées, quelles politiques publiques sont mises en place alors que ce sujet est depuis peu inscrit à l’agenda politique en France ?

Les règles restent un sujet dont on parle peu dans la sphère publique. Or, mettre des mots sur un tabou permet de réduire les risques, potentiellement dévastateurs, liés à l’ignorance et aux fantasmes.