De gauche à droite, les nouveaux leaders européens : Christine Lagarde (Banque centrale), Ursula von der Leyen (Commission), Josep Borrell (haut représentant pour les affaires extérieures) et Charles Michel (Conseil). / AP

Les chefs d’Etat et de gouvernement ont trouvé un accord, mardi 2 juillet, pour les nominations aux plus hauts postes de l’Union européenne (UE).

La ministre de la défense allemande, Ursula von der Leyen (Parti conservateur, PPE), est proposée pour la présidence de la Commission ; la directrice générale du Fonds monétaire international (FMI), Christine Lagarde (PPE) pour la présidence de la Banque centrale européenne (BCE) ; l’Espagnol Josep Borrell (social-démocrate, SPD) comme haut représentant pour les affaires extérieures de l’UE et le Belge Charles Michel (libéral, Renew Europe), proche d’Emmanuel Macron, comme président du Conseil européen.

Cécile Ducourtieux, correspondante du Monde à Bruxelles, a répondu à vos questions sur ces nominations aux principaux postes de l’Union européenne.

issor : Deux femmes, c’est parfait pour le symbole. Mais pour quelle politique européenne ? En matière d’écologie, d’inégalité sociale, de migration, de défense européenne ?

C. D. : Il est vrai que les commentateurs, hier, ont surtout réagi au symbole, très fort, que représente, pour la première fois dans l’histoire de l’UE, le respect de la parité à ses postes de pouvoir les plus éminents.

Mme von der Leyen ne part pas avec une feuille de route vierge : elle est attendue, pour mettre en musique l’« agenda stratégique » négocié par les dirigeants européens le mois dernier. Avec comme priorités : la sécurité des Européens et l’environnement.

Le président Macron, qui a suggéré le nom de Mme von der Leyen, compte bien aussi qu’elle sera sensible à ses priorités européennes : la réforme de la zone euro, un plus grand protectionnisme en matière industrielle, l’objectif de neutralité carbone en 2050…

Gcdouve : Est-ce qu’il n’y a pas un risque que le Parlement européen retoque ces nominations ?

C. D. : Le risque n’est pas nul, mais les eurodéputés prendraient une très grande responsabilité à faire capoter un paquet de nominations au cœur de l’été, alors que la Commission doit être à pied d’œuvre cet automne, pour gérer le Brexit et des sujets cruciaux comme la lutte contre le réchauffement climatique.

Le PPE, le Parti conservateur européen, majoritaire au sein de l’hémicycle, aura du mal à voter contre une conservatrice, Mme von der Leyen. Les sociaux-démocrates, s’ils récupèrent, ce qui est probable, la présidence du Parlement en plus de la haute représentation de l’Union, devraient eux aussi rentrer dans le rang.

anonikies : Si la France et l’Allemagne sont les vainqueurs, est-ce à dire que les autres pays sont des perdants ?

C. D. : Dire que la France et l’Allemagne se taillent la part du lion, dans ce paquet de nominations, n’est qu’un constat d’évidence. L’Allemagne récupère la présidence de la Commission, pour la première fois depuis les années 1960. En envoyant une femme, à ce poste éminent, au bilan controversé en Allemagne, mais réputée pour sa pugnacité.

La France récupère la tête de la Banque centrale européenne, une position tout aussi cruciale, moins de dix ans après le mandat de Jean-Claude Trichet.

Damdam : Que pensez-vous de la mise à l’écart presque totale des pays de l’Est ?

C. D. : Le « casting » européen ne peut pas faire que des heureux. En 2014, la Pologne avait décroché la présidence du Conseil européen (avec Donald Tusk), et les commentateurs de l’époque s’en étaient félicités.

Cette fois, les candidats de l’Est, évidents pour le poste de président de la Commission n’étaient pas légion, et pas forcément soutenus par leurs propres gouvernements.

La Bulgare Kristalina Georgieva, par exemple, ex-commissaire et actuellement à la Banque mondiale, aurait pu remplacer M. Juncke, mais Boiko Borissov, premier ministre bulgare, n’en voulait pas. Viktor Orban, à Budapest, aurait bien vu le Français Michel Barnier à la tête de la Commission…

Les pays de l’Est sont plutôt satisfaits d’avoir échappé à la nomination du social-démocrate Frans Timmermans à la Commission : son combat pour le respect de l’Etat de droit en avait fait la bête noire des gouvernements polonais et hongrois. Ils auraient eu du mal à justifier ce choix auprès de leurs opinions publiques.

Toto74 : Christine Lagarde n’a pas le profil d’économiste pour un poste de banquier central. Ne pensez-vous pas que cela va nuire à la crédibilité de l’institution ?

C. D. : Sa nomination soulève pas mal d’objections dans les milieux financiers, où le dogme de la nécessité d’un banquier central, ou à tout le moins un économiste à ce poste éminent s’est peu à peu imposé. Mme Lagarde n’est ni l’une ni l’autre, certes. Et sa nomination est clairement politique.

En tant que patronne du FMI, Mme Lagarde a plutôt convaincu.

Néanmoins, elle côtoie des banquiers centraux en permanence, a l’habitude de s’adresser aux marchés financiers. En tant que patronne du FMI, elle a plutôt convaincu. Donc, laissons-la faire ses preuves. Une chose est sûre : ce sera difficile de remplacer « super-Mario Draghi », dont la gestion de la crise de la zone euro a imposé un respect unanime.

TL : La nomination à la tête de la BCE d’une personne condamnée par la justice est-elle compatible avec l’exigence d’exemplarité qu’on est en droit d’attendre de nos dirigeants ?

C. D. : Il est normal que le grand public s’interroge, car l’affaire Tapie fait tache sur le brillant CV de Mme Lagarde. Mais la Cour de justice de la République a tranché, à la fin de 2016, en déclarant, certes, Mme Lagarde coupable de « négligences » dans l’arbitrage Tapie, mais en la dispensant de peine et en ne faisant pas inscrire cette condamnation à son casier judiciaire.

Gabriel : Mme von der Leyen est sous le coup d’une enquête parlementaire en Allemagne. Pouvez-vous nous en dire plus ?

C. D. : Les recrutements de consultants externes, sans appel d’offres, par le ministère de la défense, pour plusieurs dizaines de millions d’euros de contrats, ont fait polémique en Allemagne. Ursula von der Leyen a déjà payé cher ce scandale : une commission d’enquête parlementaire a été lancée, et elle a dégringolé dans les sondages, étant aujourd’hui la ministre la plus impopulaire du gouvernement Merkel. Angela Merkel prend un risque en l’envoyant à Bruxelles. La validation de sa nomination ne sera pas totalement évidente au Parlement européen. Et elle a fait vivement réagir, chez les sociaux-démocrates allemands, partenaires de coalition de Mme Merkel.

Mais il est vrai que, dans les cercles européens, cette affaire allemande n’a pas eu beaucoup d’échos. A Bruxelles, on apprécie surtout le symbole d’une femme, européenne, avec une fibre sociale et en faveur d’une armée européenne.

Ant. : Que penser de la nomination de Josep Borell, Catalan anti-indépendantiste, à la tête de la diplomatie ? Est-ce une façon d’envoyer un signal contre les mouvements séparatistes en Europe ?

C. D. : A Bruxelles, on retient surtout que M. Borrell est un politique expérimenté, qui connaît bien la politique européenne pour avoir présidé le Parlement de Strasbourg au début des années 2000. Si on s’inquiète un peu de son âge (72 ans), pour un poste qui nécessite de sauter en permanence d’un avion à l’autre, on considère qu’il aura l’autorité nécessaire pour parler au nom de l’UE sur les sujets de diplomatie.

Adrien : Merkel a toujours freiné le développement des compétences de l’Union. Que penser de von der Leyen ? Est-elle la garante allemande du statu quo ?

C. D. : Très difficile de répondre à ce stade. Mme Merkel a symbolisé la stabilité pour les Allemands, l’immobilisme pour les Français. Il faudra voir Mme von der Leyen à l’œuvre. Les temps changent, les Verts font une percée historique en Allemagne, l’Europe est très attendue sur la lutte contre le réchauffement climatique, une diplomatie plus offensive.

Mme von der Leyen a été une ministre de la famille très active, qui a su s’opposer à l’aile conservatrice du PPE, en imposant des lois en faveur du travail des femmes, dans une Allemagne très conservatrice sur le sujet. Elle a aussi plaidé en faveur d’un salaire minimal et du mariage pour tous.

Chihiro : Qu’en pensent les libéraux et les Verts du Parlement ? Finalement, les postes-clés restent aux mains des conservateurs.

C. D. : Les libéraux (Renew Europe, ex-ADLE) n’ont pas trop à se plaindre : le troisième parti dans l’hémicycle récupère la présidence du Conseil européen (elle va au premier ministre Charles Michel). C’est un poste éminent. En revanche, c’est vrai, les Verts sont les grands perdants de cette distribution des premiers rôles.

Le problème, c’est qu’ils n’ont personne, au Conseil, pour plaider leur cause : pour l’heure, aucun des chefs d’Etat et de gouvernement de l’UE n’appartient aux Verts. Courant juin, l’Allemande Ska Keller aurait pu espérer récupérer la présidence du Parlement européen. Elle est candidate pour ce poste, mais le social-démocrate italien David Sassoli semble mieux placé pour être élu.

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