Editorial du « Monde ». L’accord intervenu mardi 2 juillet à Bruxelles sur la nomination aux quatre plus hauts postes de l’exécutif de l’Union européenne apporte d’abord un cinglant démenti aux sceptiques, toujours prompts à voir l’Europe se déchirer dans ce qui ne pouvait être qu’une négociation marathon, compte tenu de la complexité et de l’importance de l’enjeu. Le choix de dirigeants pour les cinq années à venir, dans un environnement mondial aussi fragile, méritait bien quelques jours de plus pour bâtir l’indispensable consensus à Vingt-Huit.

A l’arrivée, cet accord comporte beaucoup plus d’avantages que d’inconvénients. Il consacre, d’abord, l’attachement des Européens aux valeurs d’égalité des sexes, en plaçant pour la première fois deux femmes à la tête d’institutions majeures de l’UE, Ursula von der Leyen, 60 ans, proposée pour succéder à Jean-Claude Juncker à la présidence de la Commission, et Christine Lagarde, 63 ans, qui devrait remplacer Mario Draghi à la tête de la Banque centrale européenne (BCE). Elles ont toutes deux une longue expérience des affaires publiques, européennes et internationales, l’une au sein du gouvernement allemand, notamment comme ministre de la défense, l’autre comme ministre française des finances puis comme directrice générale du FMI. Engagées de longue date dans la défense des droits des femmes, elles installent la parité dans la normalité.

L’accord évite, ensuite, l’écueil de la recherche absolue des équilibres géographiques et politiques au détriment des compétences. Le choix du premier ministre belge, Charles Michel, pour présider le Conseil européen rappelle celui de l’un de ses prédécesseurs, Herman Van Rompuy, dont les qualités de bâtisseur de compromis servent aujourd’hui de référence pour ce poste. De même, la longue expérience de Josep ­Borrell, 72 ans, actuel ministre des affaires étrangères espagnol et ancien président du Parlement européen, et le respect dont il jouit, en font un candidat parfaitement qualifié pour diriger et surtout développer la diplomatie européenne, une priorité. C’est une équipe cohérente, solide et résolument pro-européenne qui est ainsi désignée aux commandes d’une Union menacée par les divisions et le nationalisme.

Compromis franco-allemand

Enfin, l’accord sur la répartition des plus hauts postes est le fruit d’un compromis franco-allemand, à un moment où ce tandem traverse une mauvaise passe. L’échec de Manfred Weber, le Spitzenkandidat allemand du Parti populaire européen (PPE, droite classique) pour la présidence de la Commission, orchestré par Emmanuel ­Macron, avait fait tanguer le partenariat Paris-Berlin ; M. Macron a fait preuve d’habileté en sortant la carte von der Leyen, une francophile proche de la chancelière ­Merkel, que celle-ci pouvait difficilement refuser, malgré l’impopularité de la ministre à Berlin. Même s’il a dû sacrifier Margrethe Vestager et Michel Barnier, le président français a d’ailleurs tout lieu de se montrer satisfait de ce quatuor, ayant désormais un homme très proche à la présidence du Conseil alors que ses rapports avec Donald Tusk étaient plus compliqués, et une Française à la BCE.

L’absence totale des Verts dans cette distribution est l’un de ses points faibles. Les élections des 23-26 mai au Parlement européen avaient fait souffler un vent nouveau sur le paysage politique de l’Union, dont on ne voit pas trace ici. Au Parlement, à présent, de redresser ce travers. On peut aussi déplorer que les pays d’Europe centrale aient réussi à obtenir le scalp du candidat Frans Timmermans, qui a payé son combat pour la défense de l’Etat de droit – mais ils n’ont pas pour autant décroché de poste.

Ursula von der Leyen devra pour sa part prouver en actes, et non plus seulement en discours, qu’elle veut œuvrer pour le renforcement de l’Europe. Et Christine Lagarde que son manque d’expérience en matière monétaire peut être compensé par ses talents de négociatrice et de chef d’équipe. Ces deux femmes de pouvoir ne jouissent pas que de préjugés favorables ; elles devront surmonter une inévitable méfiance. Mais, il est vrai, elles y sont habituées.