Le président argentin Mauricio Macri et le président de la commission européenneJean-Claude Juncker devant Emmanuel Macron et Angela Merkel, lors d’une conférence de presse, en marge du G20 à Osaka (Japon), le 29 juin. / HO / AFP

Editorial du « Monde ». Voilà des années que la facilitation des échanges commerciaux n’a plus le vent en poupe. Mais rarement un accord comme celui qui vient d’être signé entre l’Union européenne (UE) et le Mercosur (Argentine, Brésil, Paraguay et Uruguay) aura suscité une telle opposition.

Des écologistes à l’extrême droite en passant par Les Républicains, le monde agricole et associatif, on critique le texte, qualifié par certains de « trahison » de la part d’une Commission européenne sur le départ. Même le gouvernement a envoyé des signaux contradictoires en estimant que la France n’est pas prête à ratifier le traité, tandis que des députés de la majorité présidentielle n’hésitent pas à afficher leur malaise à propos d’un texte qu’Emmanuel Macron avait pourtant qualifié de « bon », « à ce stade ».

Que le sujet soit éruptif dans un contexte de contestation de la mondialisation et de préoccupations grandissantes pour les enjeux environnementaux se comprend. Signé en toute fin de mandat par la Commission présidée par Jean-Claude Juncker, ce texte donne une fois de plus l’impression d’avoir été adopté à la sauvette, au lendemain d’élections européennes au cours desquelles le sujet n’a pas été abordé. Cette méthode, qui laisse le champ libre à toutes les interprétations, alors que beaucoup n’ont pas encore lu le texte dans le détail, doit changer avec la nouvelle Commission européenne qui s’apprête à prendre ses fonctions.

Faute d’avoir eu lieu avant, le débat s’ouvre dans un climat hystérisé. Les uns tentent de faire valoir leurs peurs réelles ou fantasmées, tandis que les autres font du libre-échange un dogme intangible. Si la suspicion et les demandes de garanties sont légitimes, le texte doit être jugé sur pièces.

Exiger une stricte réciprocité

Cet accord vise à éliminer l’essentiel des droits de douane sur les produits échangés entre l’UE et le Mercosur, un marché de 780 millions de personnes. Cette ouverture est assortie d’une promesse du maintien des normes sanitaires et phytosanitaires en vigueur dans l’UE, tandis que chacun s’engage à mettre en œuvre de manière effective l’accord de Paris sur le changement climatique.

Tout l’enjeu consiste à s’assurer que ces engagements soient contraignants. Face à Jair Bolsonaro, qui n’a cessé depuis son élection à la tête du Brésil de prendre des positions favorables à l’agrobusiness, la déforestation et le recours massif aux pesticides, la méfiance est de mise, et l’UE doit exiger des autres une stricte réciprocité sur le respect des normes sociales et environnementales qu’elle s’impose à elle-même, sans quoi aucun accord n’est acceptable. Mais s’opposer à ce traité par principe, tout comme d’ailleurs l’accepter par idéologie, n’est pas justifiable.

On reproche souvent à l’UE son impuissance sur le plan international, faute de pouvoir peser sur le plan diplomatique ou militaire. Avec un marché intérieur de 500 millions de consommateurs, les Européens disposent toutefois d’un fantastique levier pour imposer un modèle basé sur le droit, la liberté et le respect de l’environnement. De ce point de vue, le traité avec le Mercosur pourrait être l’occasion pour l’Europe de faire appliquer ses normes.

Ne soyons pas dupes : entre le retour à la loi de la jungle prôné par Donald Trump et les tentations hégémoniques de la Chine de Xi Jinping, le repli sur soi serait le pire des choix. Il aboutirait à la perte de la maîtrise de notre destin au profit de puissances dont la vision du monde n’a rien de rassurant.