Le ministre de l’éducation nationale, Jean-Michel Blanquer, à l’Elysée le 24 juin. / ALAIN JOCARD / AFP

Editorial du « Monde ». Habitué à gérer un certain nombre d’aléas, comme la perte de copies ou la triche, le ministère de l’éducation nationale n’avait en revanche jamais eu à relever le défi du 5 juillet 2019 : délivrer en temps et en heure les résultats du baccalauréat alors qu’un certain nombre d’enseignants, hostiles aux réformes engagées par Jean-Michel Blanquer, ont refusé de communiquer les notes des copies qu’ils avaient corrigées.

Le ministre de l’éducation nationale a riposté en annonçant que les notes manquantes seraient remplacées par les résultats du contrôle continu. Le SNES-FSU, qui n’était pas à l’origine du mouvement, est alors venu en soutien des « grévistes des notes », en pointant le risque d’une rupture d’égalité entre élèves. Des jurys ont été perturbés, le baccalauréat s’est retrouvé pris en étau.

Cette épreuve de force, inédite dans l’histoire du ministère, ressemble à un baroud d’honneur. Depuis deux ans, Jean-Michel Blanquer s’est lancé dans une refonte de l’école et du lycée en partant du constat que les classements internationaux ne tournaient pas à l’avantage du système éducatif français : la massification s’est accompagnée d’un creusement des inégalités sociales, tandis que le niveau des élèves a eu tendance à s’affaisser. En promettant tout à la fois d’élever le niveau général et de promouvoir la justice, le ministre a enrôlé derrière lui des parents d’élèves angoissés par le spectre du déclassement social. Ce puissant levier lui a permis de contrer les résistances internes.

De la refonte de la maternelle à celle des options au bac, Jean-Michel Blanquer a accumulé les réformes beaucoup plus vite que ses prédécesseurs, sans s’embarrasser de la cogestion qui a longtemps servi de mode de gouvernance rue de Grenelle. Ce parti pris s’est accompagné d’une lutte, assumée, contre un certain nombre de coordinations ou de syndicats radicaux, accusés de mener un combat politique contre le macronisme.

Le malaise est désormais sur la place publique

Le tout a conduit à la radicalisation d’un petit nombre de correcteurs qui, en choisissant de faire la grève des notations, a pris le risque de se marginaliser encore plus : ce type d’action, guère prisé par les syndicats, ressemble à du sabordage. Il est assez loin de ce que l’on peut attendre d’un enseignant, a peu de chances de recevoir l’appui de l’opinion et se révèle trop tardif pour être efficace – la réforme du bac qu’il vise à contrarier est déjà sur les rails.

Jean-Michel Blanquer n’est cependant pas sorti gagnant de ce bras de fer, car le malaise qui cheminait à bas bruit est désormais sur la place publique. En outre, les pressions qu’il a exercées pour obtenir les notes ont choqué, au-delà du seul camp des grévistes. Or, le ministre a besoin de tous les enseignants pour réussir ses réformes, et notamment celle du bac. Pour préparer les élèves aux oraux, il faudra que les professeurs s’impliquent dans toutes les classes. Pour que les nouvelles options fonctionnent, il faudra que tous y croient.

On est loin du compte : depuis des années, les « profs » sont en souffrance, par manque de reconnaissance et de moyens, excès de réformes et de contre-réformes. Après deux années de mouvements, le ministre de l’éducation nationale doit prendre le temps de les écouter, de les considérer, de les revaloriser. A l’issue du grand débat national, Jean-Michel Blanquer avait obtenu d’Emmanuel Macron que la question des rémunérations soit posée dans le cadre de la réforme des retraites, pour ouvrir la voie à une période plus apaisée. Il serait temps.