Une actrice noire peut-elle interpréter la Petite Sirène ? C’est, en résumé, la question qui agite une partie des réseaux sociaux depuis que Disney a annoncé, mercredi 3 juillet, que la chanteuse de 19 ans Halle Bailey allait incarner Ariel dans le remake, en images réelles, de La Petite Sirène.

Vendredi matin, le sujet était toujours parmi les plus discutés sur Twitter en France, et occupait les conversations sur différents forums comme Reddit. De nombreux internautes ont dénoncé un choix qui, selon eux, ne respecte pas le personnage initial. « Elle ne ressemble pas à Ariel », « la Petite Sirène est blanche, point », « Ariel a des yeux bleus, la peau blanche et des cheveux roux… Disney me déçoit », pouvait-on par exemple lire en réponse à l’annonce du géant américain du divertissement. Un hashtag a même vu le jour, #NotMyAriel (« ce n’est pas mon Ariel »), qui faisait partie des plus partagés en fin de semaine sur Twitter, avec plus de 200 000 messages publiés.

Mais il ne faut pas s’y tromper : il ne s’agit pas là de 200 000 messages hostiles envers le choix de Disney. De nombreux internautes se sont aussi emparés de ce hashtag pour, au contraire, critiquer ces messages, souvent qualifiés de racistes. « Le mot-clé #NotMyAriel est stupide et utilisé par des Blancs racistes dégoûtés qu’une jeune femme de couleur belle et talentueuse ait été choisie », écrit par exemple une internaute.

La pop culture comme ligne de front

Ces messages soutenant Disney ont envahi les réseaux sociaux, au point de noyer leurs cibles… Et de générer quelques suspicions. « J’ai passé trente minutes à regarder le mot-clé #NotMyAriel sur Instagram et je n’ai vu aucun Blanc s’opposer à une Ariel noire. Plus je regarde, plus je pense que ceux qui en parlent sont mal informés ou mentent éhontément », écrit par exemple un utilisateur de Twitter. « Ce mot-clé, ce sont des gens qui dénoncent héroïquement des racistes complètement fictifs qui soi-disant se plaignent qu’Ariel soit noire (…). C’est une polémique sur une polémique qui n’existe pas », assure un autre.

Plusieurs messages de ce type circulent sur les réseaux sociaux, accusant les « SJW » de gonfler le phénomène. Les SJW ? Ce terme, acronyme de Social justice warrior (« combattant pour la justice sociale »), est fréquemment utilisé par une frange des internautes pour désigner, de façon hostile, des progressistes comme les féministes ou les antiracistes.

Depuis plusieurs années, deux mouvances s’opposent en effet en ligne, avec la pop culture comme ligne de front. Alors que l’industrie du divertissement tend à instituer plus de diversité dans ses produits, avec notamment plus de personnages féminins et non blancs, une partie du public soutient cette démarche. Mais une autre la conspue. Elle estime que les œuvres sont dénaturées et les auteurs privés de leur liberté d’expression afin de se soumettre au politiquement correct. Celle-ci avait été très visible lors de l’émergence du mouvement Gamergate, en 2014, principalement focalisé sur le jeu vidéo, et qui avait popularisé la notion de SJW, désormais bien ancrée.

Les exemples sont multiples, et La Petite Sirène n’est que le dernier en date. Une femme dans le rôle principal de Doctor Who ? Des films Star Wars au casting moins blanc et plus féminin ? Une femme noire pour interpréter une Ghostbuster ? Une actrice noire dans le rôle d’Hermione, l’amie de Harry Potter ? A chaque fois, ces choix provoquent des polémiques, et parfois même de violentes campagnes de harcèlement contre les actrices concernées.

Difficile toutefois de quantifier le nombre de messages dans un camp ou dans l’autre pour chaque polémique. Et cela est visiblement devenu un nouvel argument dans la bataille : faire passer les SJW pour des affabulateurs, prêts à gonfler l’importance d’un phénomène – voire à l’inventer –, même si les messages en question sont, dans le cas de La Petite Sirène, accessibles relativement facilement.

« Je ne veux pas d’une Pocahontas blanche »

La Petite Sirène fait donc à son tour les frais de ce conflit, avec des débats houleux interminables, faisant appel à tous types d’arguments. Certains décrètent même qu’en vivant dans les profondeurs, la peau d’Ariel devrait être blanche, tandis que d’autres assurent au contraire qu’en habitant dans l’eau, la peau de la sirène est très exposée au soleil.

Les opposants à Halle Bailey se défendent souvent d’être racistes, et préfèrent se définir comme « critiques ». « De la même manière, je ne veux pas d’une Mulan noire ou mexicaine. D’une Pocahontas blanche, d’une Belle asiatique ou d’une Raiponce native-américaine », commente un internaute. Des images ont même été conçues pour moquer ces postulats.

« Les personnes qui conspuent #NotMyAriel sont les mêmes qui se plaignaient que Scarlett Johansson joue dans Ghost in the Shell », ont aussi argué certaines personnes, en référence à cette adaptation du manga du même nom par Hollywood, qui a choisi une actrice blanche pour incarner le personnage principal.

C’est oublier un peu vite, rétorquent d’autres, que les personnes non blanches ont été, pendant des décennies, grandement sous-représentées par l’industrie du divertissement. « Attendez… On montre enfin des Noirs à la télé et des Blancs trouvent le moyen de dire #NotMyAriel à propos d’un poisson ? D’un poisson fictif de contes de fées ? », s’indigne par exemple une internaute.

« Scientifiquement, Ariel devrait être un cabillaud »

Certains se plaignent également que Disney n’ait pas choisi une rousse pour incarner Ariel, évoquant là aussi une sous-représentation des roux. D’autres insistent sur les origines danoises du conte initial pour revendiquer une peau blanche, et se voient opposer que des sirènes existaient dans le folklore africain.

Le message qu’a posté Halle Bailey sur Twitter pour annoncer son nouveau rôle, « un rêve qui devient réalité ».

Et si des internautes soulignent que la couleur de peau d’Ariel n’a aucun impact sur sa personnalité ni son histoire – contrairement à Pocahontas par exemple –, d’autres se lamentent surtout de voir leur enfance « ruinée ». Il s’agit pourtant, se voient-ils rétorquer, d’un nouveau film… qui ne leur est pas destiné : les enfants de 2020 découvriront une Ariel noire sans que cela ne les choque.

« S’ils ne choisissent pas une personne qui soit une pieuvre violette pour le personnage d’Ursula, je ne réponds plus de rien », a taclé, avec humour, une utilisatrice de Twitter. « Je n’arrive pas à croire qu’ils puissent faire ça à Ariel ! a embrayé un autre. Vu qu’elle vit dans l’Atlantique, sa moitié inférieure devrait SCIENTIFIQUEMENT être du cabillaud, mais ils ont casté du haddock ?? Ces caprices de SJW doivent cesser. »