A la fin de l’été 2017, peu après son inauguration au terme d’un chantier titanesque caractérisé par d’importants retards et des surcoûts astronomiques, la Philharmonie de l’Elbe, à Hambourg, était au centre d’une nouvelle polémique dont elle se serait bien passée. « Philharmonie de l’Elbe. W.-C. femmes. Maintenant », avait tweeté une internaute. Accompagnant son message laconique, la photo d’une serviette hygiénique (neuve), sur laquelle elle avait griffonné, d’une main furieuse : « 750 millions d’euros ! Et nulle part pour jeter nos serviettes ! » Le tweet avait suscité l’incrédulité sur la Toile.

Mis à part cet incident fâcheux, les Allemandes s’estiment bien loties en matière de menstruations. Elles trouvent en général aisément des protections périodiques à des prix raisonnables compte tenu de leur pouvoir d’achat. Outre-Rhin, il arrive aussi que des cafés ou musées mettent des tampons en libre-service dans les toilettes. Et des mairies envisagent de faire de même dans les latrines publiques, comme à Duderstadt, une commune très touristique de 20 000 habitants au sud de Hanovre. Des projets pilotes de tampons gratuits sont également en cours de discussion dans les universités de Bielefeld et de Wuppertal, dans la Ruhr.

Le caviar moins taxé que les tampons

« Ce sont d’excellentes initiatives. Tout ce qui permet à ce sujet de rester dans le débat public, je suis pour, explique Nanna-Josephine Roloff. Avoir du papier toilette en libre-service aux W.-C., c’est une évidence. Alors pourquoi pas des tampons et serviettes aussi ? » Avec une amie étudiante comme elle, la Hambourgeoise a lancé en mars 2018 une campagne exigeant la baisse de la TVA sur les produits d’hygiène féminine. Intitulée « Avoir ses règles n’est pas un luxe », la pétition dénonce une « discrimination fiscale » visant les femmes. Les protections périodiques sont taxées au taux plein de 19 %, souligne-t-elle, alors que des produits moins essentiels comme le café ou le caviar de saumon bénéficient de la TVA réduite à 7 %. La pétition, déjà signée par plus de 177 000 internautes, demande au gouvernement de mettre fin à cette injustice, comme la France l’a fait en 2016 en baissant la TVA à 5,5 % sur ces produits.

« L’application du taux de TVA standard aux tampons et aux serviettes hygiéniques n’est pas justifiable »

Après avoir longtemps esquivé le débat, les partis au pouvoir commencent à prêter l’oreille. Au Bundestag, la chambre des députés, des élus de la majorité sont favorables à une plus faible taxation. « L’application du taux de TVA standard aux tampons et aux serviettes hygiéniques n’est pas justifiable », déclare Antje Tillmann, députée de la CDU, le parti de la chancelière Angela Merkel.

Pour Nanna-Josephine Roloff, c’est plus une question de principe que de prix. « En Allemagne, la précarité menstruelle n’est pas un sujet de société au même titre qu’au Royaume-Uni, où 10 % des femmes n’ont même pas les moyens de s’acheter des protections périodiques », explique-t-elle.

« Mais, pour une femme SDF, ou pour une famille modeste avec une maman et deux adolescentes, le budget tampons peut peser lourd, tout de même. »

Demande de produits durables

Pour un nombre croissant de femmes allemandes, cependant, le prix des protections hygiéniques est d’importance secondaire face aux considérations écologiques. La tendance du bio et du zéro déchet a aussi gagné la sphère de l’hygiène féminine, et certaines clientes sont prêtes à payer plus cher pour des produits de fabrication écologique, sans plastique. « Nous observons que nos clientes sont de plus en plus concernées par l’aspect environnemental et que la demande de produits durables augmente », explique Sebastian Bayer, directeur marketing de la chaîne de magasins DM Drogerie Markt, spécialiste du soin corporel.

« L’utilisation de coton bio dans la fabrication des tampons et serviettes revêt désormais une grande importance. Nous nous attendons à ce que le marché continue d’évoluer. »

Plusieurs start-up nouvellement créées évoluent déjà sur ce marché en plein essor. C’est le cas de The Female Company, fondée début 2018 par deux amies après un voyage en Inde, où les tabous vivaces qui frappent les femmes pendant leurs règles les ont atterrées. « Mais de retour en Allemagne, nous avons constaté que tout n’est pas rose ici », explique Ann-Sophie Claus, l’un des deux cofondatrices de The Female Company : « Pendant nos déplacements, nous cachons nos tampons au creux de notre poing. Et surtout, les jeunes filles ont du mal à parler de leurs règles. »

La petite entreprise, basée à Stuttgart, vend des tampons fabriqués exclusivement à partir de coton bio. Pour quelques euros par mois, les clientes peuvent s’abonner et recevoir leur colis mensuel de protections sans pesticides – emballées dans des boîtes « bariolées et valorisantes, souligne Ann-Sophie Claus, qui ne sont pas destinées à être planquées au fond d’un placard mais placées en évidence dans la salle de bain afin que ces messieurs se fassent une idée du vécu biologique de leur compagne ».

De leur côté, les médecins estiment qu’aujourd’hui les protections périodiques conventionnelles ne sont pas nécessairement pires que les produits étiquetés bio pour la santé des femmes. Et ils pointent même un potentiel effet pervers à la généralisation des protections périodiques écologiques. Doris Scharrel, gynécologue à Kiel, craint ainsi que le prix des tampons et serviettes hygiéniques finisse par augmenter et pénaliser les plus pauvres. Mais pour elle, ces discussions sur les menstruations dans la sphère publique ont un avantage indéniable : le sujet est moins tabou qu’autrefois.

#RèglesNonDites, le projet

France, Kenya, Inde, Suède, Corée du Sud, Allemagne ou Burkina Faso. Dans une série de reportages, nous avons voulu montrer comment la précarité menstruelle touche les femmes les plus vulnérables dans le monde.

De quoi parle-t-on, combien de femmes sont concernées, quelles politiques publiques sont mises en place alors que ce sujet est depuis peu inscrit à l’agenda politique en France ?

Les règles restent un sujet dont on parle peu dans la sphère publique. Or, mettre des mots sur un tabou permet de réduire les risques, potentiellement dévastateurs, liés à l’ignorance et aux fantasmes.