Une usine de miel à Mekele, le 30 mars 2017. / ZACHARIAS ABUBEKER / AFP

Une décision « historique ». Le 21 mars, le Parlement éthiopien approuvait l’adhésion du pays à la zone de libre-échange continentale africaine (Zlecaf), dont le lancement opérationnel est prévu dimanche 7 juillet lors du sommet de l’Union africaine (UA) à Niamey. Un pari audacieux pour le deuxième pays le plus peuplé d’Afrique, dont l’économie est étroitement contrôlée par l’Etat.

« Nous avons été réticents dans le passé », admet Mamo Mihretu, jeune conseiller du premier ministre éthiopien Abiy Ahmed, et négociateur en chef sur le commerce. Pour soutenir son industrie naissante, et se concentrer sur le renforcement de ses capacités de production, l’Ethiopie avait plutôt fait le choix du protectionnisme. Elle bénéficiait toutefois d’un accès en franchise de droits de douane sur de nombreux marchés, notamment européen et américain, souligne le consultant indépendant Melaku Desta.

Mais, depuis son arrivée au pouvoir en avril 2018, Abiy Ahmed a manifesté le souhait d’accélérer le processus de libéralisation économique doucement amorcé par son prédécesseur, Hailemariam Desalegn. Sa volonté de renforcer l’intégration régionale a rendu la situation favorable à la ratification d’un accord, présentée par M. Mamo comme « une extension de notre politique étrangère panafricaniste ». Celle-ci remonte au règne du dernier empereur d’Ethiopie, Hailé Sélassié, l’un des pères fondateurs de l’Organisation de l’unité africaine, qui devint plus tard l’Union africaine, et dont le siège se trouve à Addis-Abeba.

Grâce à cet accord censé ouvrir un vaste marché de 1,2 milliard de personnes, l’ancienne Abyssinie espère attirer davantage d’investissements directs étrangers et augmenter ses recettes d’exportations. Pour l’instant, seul un cinquième des produits éthiopiens vendus à l’étranger sont destinés à l’Afrique, tandis que les importations en provenance du continent ne représentent que 4 % du total.

Flexibilités sur l’accord

L’Ethiopie a participé activement aux négociations, pour tenter de « façonner la nature de l’accord », poursuit M. Mamo. « Ils ont négocié durement, car ils voulaient que (ce dernier) soit conforme à leurs intérêts nationaux », ajoute le consultant Melaku Desta. Si le pays possède de nombreux atouts, à commencer par sa main-d’œuvre abondante et bon marché, il est pauvre et enclavé, et ses performances industrielles sont bien en deçà de ses ambitions. L’Ethiopie n’a rempli que 62 % de ses objectifs d’exportations au deuxième semestre 2018, qui s’élevaient à 1,96 milliard de dollars (1,74 milliard d’euros). D’où une certaine frilosité et quelques relents protectionnistes.

Alors que l’accord sur la Zlecaf engage les pays africains à supprimer 90 % des droits de douane sur les marchandises, « ils ont demandé un certain nombre de dérogations, par exemple sur certaines lignes tarifaires au-delà des 10 % », raconte Carlos Lopes, ancien secrétaire exécutif de la Commission économique pour l’Afrique (CEA) de l’ONU. En manque de devises, les Ethiopiens ne se précipiteront pas pour supprimer les taxes astronomiques sur l’importation de véhicules – jusqu’à 329 % par exemple sur une Toyota Vitz 2003, selon une étude réalisée par Deloitte en 2018. « Mais des produits seront ouverts à la suppression des droits de douane, par exemple l’importation d’engrais, de carburant », assure Mamo Mihretu.

L’Ethiopie et ses camarades d’un groupe de sept pays (comprenant Djibouti, le Malawi, Madagascar, le Soudan, la Zambie et le Zimbabwe) demandent quelques flexibilités sur l’accord. « Ils pourraient avoir droit à des périodes transitoires plus longues, explique Guillaume Gérout, consultant auprès de la CEA. Il est préférable pour l’Ethiopie d’adopter une approche incrémentale, permettant à toutes les parties prenantes de gagner confiance petit à petit dans le processus de libéralisation et assurer une certaine progressivité dans l’ouverture économique du pays au reste du monde. »

Ces négociations sont en tout cas une « excellente plateforme d’apprentissage », selon Mamo Mihretu, tandis que l’Ethiopie vient de relancer son processus d’accession à l’Organisation mondiale du commerce (OMC), débuté il y a plus de quinze ans et interrompu depuis six ans.