Bria Hartley a inscrit un shoot décisif face à la Belgique. / ILMARS ZNOTINS / AFP

La balle a quitté les mains de Bria Hartley et s’est élevée. Arrivée trop tard, la Belge Antonia Delaere n’a pu que se retourner et constater les dégâts. Une trajectoire en cloche, alors que le chronomètre amorçait les dix ultimes secondes de ce quart de finale. Quand la balle est entrée, remettant France et Belgique à égalité (68-68), la meneuse de l’équipe de France a punché l’air de joie. « Quand la balle m’est arrivée, je savais que je devais shooter, et c’est rentré », a commenté la joueuse après la victoire des siennes, jeudi 4 juillet.

Si elle affronte avec les Bleues, samedi 6 juillet, la Grande-Bretagne en demi-finale de l’Euro 2019, le mariage entre Hartley et l’équipe de France est tout récent. A 26 ans, la native de North Babylon, dans l’état de New York dispute sa première compétition avec la sélection nationale.

Une Américaine en équipe de France ? Alors que la Fédération française de basket (FFBB) a souvent fustigé les recours de nombreux pays à des « naturalisations express » ? En 2015, Valérie Garnier prenait ainsi pour exemple, avant l’Euro, sa joueuse à Bourges, Danielle Page, qui « ne parle pas un mot de serbe, il y a deux mois n’était pas Serbe, et aujourd’hui l’est ». Mais aujourd’hui, insiste la technicienne française, le cas Bria Hartley diffère de ces joueuses « qui ne savent peut-être même rien sur le pays ».

Sa grand-mère, alsacienne, a suivi un GI américain

Car la FFBB n’est pour rien dans l’obtention du passeport français de la meneuse. Son histoire s’entremêle avec la grande histoire, et les répercussions de la seconde guerre mondiale. En 1959, l’Alsacienne Christiane Beyer rencontre un GI américain en garnison en Europe, l’épouse, et le suit aux Etats-Unis. Soixante ans plus tard, sa petite-fille dispute l’Euro pour sa patrie de naissance.

« Bria a grandi en apprenant la vie de sa grand-mère en France, y compris l’expérience désagréable de la Seconde Guerre mondiale, raconte au Monde Simone Churchill-Hartley, fille de Christiane et mère de Bria. Nous avons toujours été fiers de notre héritage français, et pour ma mère, vieillissante [elle a célébré ses 80 ans en mars], imaginez sa fierté de voir sa petite-fille représenter son pays. »

Ce n’est pas faire affront aux Bleues que d’affirmer que la concurrence est moindre en équipe de France que chez les multimédaillées américaines. Mais Bria Hartley, qui a défendu les couleurs américaines en équipes de jeunes (elle a notamment disputé le Mondial U19 en 2011) a envisagé de revêtir le maillot bleu dès son passage à l’université d’Uconn (University of Connecticut). Pour sa grand-mère.

Une arrivée controversée

Passée pro (en 2014), Hartley devient rapidement une joueuse qui compte en WNBA, la grande ligue américaine. Et découvre en parallèle l’Europe (en Hongrie, puis en Turquie). En octobre 2017, c’est elle qui contacte Valérie Garnier pour lui signaler son intention de « faire partie de l’équipe de France ». Sa mère étant française, elle l’est également et a toute légitimité pour postuler.

Pourtant, son arrivée en équipe de France – en novembre 2018 – ne se fait pas sans remous. L’ancienne capitaine française, Céline Dumerc, qui a toujours « trouvé scandaleux » les recours aux joueuses naturalisées – d’autant que son équipe de France s’est souvent brisé les dents sur des équipes renforcées de la sorte – a bien synthétisé la tendance, dans Basket Magazine avant l’Euro : « Bria a des origines françaises par sa grand-mère, c’est vrai. Mais qu’est-ce qu’elle a à voir avec la France ? Est-ce qu’elle a été formée en France ? C’est plutôt ça qui me dérange. »

Mettant en avant la « superbe formation en France, les infrastructures, le suivi », l’ancienne meneuse des Braqueuses s’inquiétait du message envoyé quand, pour « essayer de former la meilleure équipe avec les meilleures joueuses », on va chercher une joueuse formée ailleurs. « C’est se tirer une balle dans le pied, regrettait Dumerc, avant de compléter. Après, d’un point de vue basket, c’est génial. »

« Je sais qu’il y a une controverse autour de ma venue, relevait la joueuse avant l’Euro, mais je veux juste jouer, prendre du plaisir et me faire accepter par l’équipe. » Si elle ne parle pas français, Bria Hartley suit des cours à Istambul, où elle a évolué cette saison. D’autant que Valérie Garnier a été très claire : « pas question de parler autre chose que français en équipe de France ! »

Une menace de plus pour les Bleues

Sur le terrain, l’arrière-meneuse n’a guère de soucis pour communiquer. Aussi volontaire sur le parquet qu’elle est discrète en dehors, la jeune femme s’est intégrée dans le groupe bleu sans tarder. « Elle a mis tout en œuvre pour se faire accepter, dans sa façon de s’entraîner, de se comporter, de partager le ballon et de se mettre au service de l’équipe, souligne Valérie Garnier. Et tout le monde l’a acceptée. »

« Bria apporte quelque chose de nouveau, surtout au niveau de l’attaque, a complété en cours de compétition Marine Johannès à L’Equipe. Elle nous permet d’avoir plus de choses ouvertes, car elle crée beaucoup, que ce soit pour elle ou pour les autres. » A ses côtés, la pépite française – un brin en retrait lors de l’Euro jusque-là – peut former un duo d’arrières au potentiel offensif inédit en équipe de France.

« Forcément, Bria a la culture américaine, très offensive, constatait, satisfaite, la capitaine française Endy Miyem avant la compétition. Elle nous apporte un danger en plus à la mène, sur du shoot et des pénétrations. »

Les adversaires ne s’y trompent pas. L’entraîneur français de la Suède, François Gomez, a confié à L’Equipe tout le bien qu’il pensait de celle qui a affronté ses ouailles au premier tour. « Elle apporte beaucoup, et a surtout pris à son compte ce leadership qui manquait à la France, depuis le départ de Céline Dumerc. Il y avait un vide dans ce domaine qui n’avait pas été comblé. » Jeudi, les Belges ont fait l’amère expérience du côté décisif de la nouvelle meneuse des Bleues.

Comme le chantait la chanteuse de jazz Savannah Churchill, « I want to be loved (but only by you) », la franco-américaine Bria Hartley voudrait bien être aimée, et surtout par la France. Adoptée par ses partenaires, la joueuse devrait rapidement être adoubée par le public français. Surtout si elle permet aux Bleues de décrocher l’or européen, dimanche, à Belgrade.