Lors d’une opération de sauvetage menée par l’« Alan-Kurdi », au large des côtes libyennes, le 5 juillet. / SOCIAL MEDIA / SEA-EYE

Trois jours après la libération de Carola Rackete, la capitaine du navire humanitaire Sea-Watch 3 qui avait forcé le blocus du port italien de Lampedusa samedi 29 juin, les sauvetages continuent en Méditerranée. Vendredi 5 juillet dans la matinée, l’ONG Sea Eye a sauvé de la noyade 65 migrants au large de la Libye.

L’après-midi, le navire a reçu pour instruction de se diriger vers le port de Zaouïa, en Libye, à une quarantaine de kilomètres de Tripoli et à moins de 60 kilomètres du camp détruit par une frappe aérienne en début de semaine. L’ONG s’est refusée à conduire les passagers du Alan-Kurdi, du nom de l’enfant syrien retrouvé mort sur une plage turque en 2015, dans cette zone pour « des problèmes liés à la sécurité ».

La veille, jeudi 4 juillet, le voilier Alex naviguant pour l’ONG Mediterranea Rescue, un navire acheté par plusieurs députés de la gauche italienne, avait devancé une vedette des garde-côtes libyens pour se porter au secours de 55 migrants au large des côtes italiennes.

Le soir même, Matteo Salvini, le ministre italien de l’intérieur (Ligue, extrême droite), signait un décret refusant l’accès aux eaux territoriales italiennes au navire et à son équipage. Vendredi 5 juillet dans la matinée, on apprenait que Malte s’était proposée pour accueillir les 55 migrants sur son sol, en échange de quoi l’Italie devait elle-même accueillir un nombre équivalent de migrants précédemment passés par Malte.

« Les ports sont fermés »

Les canots secourus par les deux ONG se trouvaient dans les eaux internationales mais dans la zone où les secours dépendent des gardes-côtes libyens, que l’Union européenne, en particulier l’Italie, forme, équipe et soutient pour qu’ils ramènent les migrants en Libye.

Ces événements surviennent après le naufrage, le 1er juillet, d’un bateau pneumatique transportant près de 80 personnes, qui tentaient de rejoindre l’Europe au départ de la ville libyenne de Zouara. Un navire tunisien a sorti de l’eau quatre naufragés, fébrilement accrochés aux restes de leur embarcation. Après avoir passé trois jours ainsi, le récit qu’ont fait les quatre hommes d’origine malienne et ivoirienne laisse craindre aux autorités qu’ils soient les seuls survivants du naufrage.

Matteo Salvini s’est exprimé à se sujet dans plusieurs médias, et n’a pas mâché ses mots. Mercredi, sur Twitter, le ministre de l’intérieur italien s’est dit « déterminé à bloquer tous les trafiquants d’homme, d’armes et de drogue », en référence à l’affaire du Sea-Watch 3.

Jeudi 4 juillet, à la télévision italienne, il affirmait que « l’action des ONG est spécifiquement élaborée pour attaquer le seul gouvernement d’Europe [qui se trouve] en dehors des schémas traditionnels ». Vendredi matin, il ajoutait que Carola Rackete, la capitaine du Sea-Watch 3, était une « communiste allemande, riche et gâtée ».

M. Salvini continue d’affirmer que « les ports sont fermés ». Or les embarcations de fortune continuent d’arriver sur les îles de Sicile et de Lampedusa. Soixante-neuf migrants ont débarqué ces dernières vingt-quatre heures à Lampedusa, ont rapporté les médias italiens : 55 jeudi, après avoir été secourus par des vedettes de la police et des garde-côtes italiens, et 14 autres, parmi lesquels deux femmes et quatre enfants, arrivés directement en barque vers minuit dans le petit port.

« Responsabilités »

M. Salvini a fait son cheval de bataille de cette confrontation avec les ONG de secours en mer. Pour autant, Sea Eye « se refuse à considérer Salvini comme [son] adversaire numéro un ». Pour l’organisation, « l’Italie ne devrait pas avoir à prendre seule la responsabilité de tous ces gens. L’approche de Salvini est extrêmement problématique, mais le véritable obstacle vient aussi des autres pays européens qui n’agissent pas à la hauteur de leurs responsabilités ».

Dunja Mijatovic, la commissaire aux droits de l’homme du Conseil de l’Europe, publiait, vendredi 5 juillet, un rapport intitulé « Vies sauvées ; droits protégés ». L’une des quatre principales recommandations émises par la commissaire est de « s’assurer que le débarquement n’a lieu que dans un endroit sûr tant en droit maritime qu’en termes des droits de l’homme et en droit des réfugiés (…), en tenant pleinement compte du risque de persécution, torture, traitements inhumains ou dégradants ».

S’exprimant vendredi, Mme Mijatovic affirmait que les pays membre de l’UE « doivent assumer davantage la responsabilité de sauver les migrants en mer, protéger les droits des migrants et éviter de punir les ONG », ajoutant que « sauver des vies n’est pas un crime ».

Migrants en Méditerranée : « Des morts qu’on ne voit pas sont des morts qui n’existent pas »
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