Comment conjurer cette sinistre litanie des femmes tuées par leur conjoint ou ex-conjoint ? Année après année, le législateur et le ministère de la justice haussent le ton pour renforcer la prévention et la répression de ces crimes. En vain jusqu’ici. « J’ai toujours eu en tête ce chiffre d’une femme qui meurt tous les trois jours, comme si c’était une fatalité contre laquelle on ne peut pas grand-chose », explique un vice-procureur francilien.

Avec la place prise par le sujet dans le débat public, Nicole Belloubet choisit aujourd’hui de changer d’échelle en matière de prévention. La ministre de la justice a annoncé, lundi 1er juillet, sur LCI, vouloir « généraliser » le bracelet électronique dans la lutte contre les violences conjugales. Un changement radical de doctrine.

La surveillance électronique mobile (un bracelet électronique muni d’un GPS) existe depuis 2010 comme mesure de sûreté qui peut être imposée à l’issue d’une peine de prison de cinq ans pour des faits de violences conjugales. Elle est très peu utilisée. La réforme de la justice du 23 mars a abaissé ce seuil à deux ans de prison. Par ailleurs, la loi du 28 février 2017 devait permettre l’expérimentation d’un dispositif de surveillance spécifique, avec le déclenchement d’une alarme dans le cas où l’auteur de violences conjugales se rapprocherait du périmètre où se trouve la victime.

Ce « dispositif électronique de protection anti-rapprochement » n’a pas encore été expérimenté que Nicole Belloubet, dans une circulaire du 9 mai « relative à l’amélioration du traitement des violences conjugales et à la protection des victimes », a annoncé une nouvelle expérimentation. « Je souhaite aller plus loin dans la mise en œuvre des dispositifs de protection des victimes », écrivait ainsi la garde des sceaux.

Cette demande est déjà dépassée, fini l’expérimentation. Un texte de loi est en préparation afin de généraliser ce procédé à tout le territoire et surtout à un stade plus en amont, sans attendre la condamnation de l’auteur ou l’ouverture d’une information judiciaire, réservée aux violences conjugales de nature criminelle.

Problèmes de constitutionnalité

Une telle surveillance électronique pourra être décidée dans le cadre d’un contrôle judiciaire avant jugement. Depuis quelques années déjà, les parquets demandent aux juges des libertés et de la détention d’imposer dès l’enquête préliminaire, ou en attendant la comparution devant le tribunal correctionnel, une mesure d’éloignement du domicile conjugal et une interdiction de rencontrer la victime. Violer ces mesures entraîne des sanctions pénales, mais rien ne permet d’en assurer le respect. Ce contrôle judiciaire pourra donc comprendre le dispositif anti-rapprochement.

Mme Belloubet souhaite également développer l’ordonnance civile de protection. Cette mesure non pénale, décidée par le juge aux affaires familiales dans le cadre d’une séparation conflictuelle, permet de décider, sans attendre le jugement de divorce, qui peut occuper le logement conjugal, qui doit le quitter, qui a la garde des enfants, etc. Le juge civil peut aussi imposer à ce stade des interdictions d’entrer en contact. La ministre souhaite que les parquets requièrent davantage d’ordonnances de protection, alors que 3 332 ont été décidées en 2018.

Sur ce terrain aussi, Mme Belloubet change de braquet et prévoit de passer par la loi. La surveillance électronique mobile pourra accompagner l’ordonnance de protection, avec le consentement de l’auteur présumé des violences. Mais pour s’assurer de son consentement, il « sera créé en parallèle un délit de refus de se soumettre au port du dispositif anti-rapprochement, à l’image du délit de refus de se soumettre à des prélèvements biologiques », explique-t-on à la chancellerie.

Une telle entrave à la liberté d’aller et venir imposée à une personne non encore jugée, de surcroît dans le cadre d’une procédure civile, pourrait néanmoins poser des problèmes de constitutionnalité. La chancellerie, qui travaille à une rédaction idoine de ces articles de loi, table sur un créneau à l’automne pour les soumettre au Parlement. Gwenola Joly-Coz, présidente du tribunal de Pontoise, très en pointe sur la lutte contre les violences faites aux femmes, estime « très positif tout ce qui permettra de protéger les femmes le plus en amont possible ».

Par ailleurs, alors que les violences conjugales et les homicides conjugaux ne baissent pas, malgré les circulaires de politique pénale qui régulièrement appellent les parquets à se mobiliser sur cette criminalité, la ministre a demandé, le 21 juin, une enquête à l’inspection générale de la justice. Toute la procédure (d’un premier signalement de violence jusqu’au meurtre) va être épluchée dans les cas d’homicides définitivement jugés en 2015 et 2016. Il s’agit de rechercher les signaux d’alerte qui auraient été négligés ou les décisions inadaptées, de comprendre comment ont éventuellement péché la justice, la police ou les associations pour ajuster les pratiques et, si nécessaire, les textes. Ce rapport devrait être remis à la ministre en octobre.