Geraint Thomas et Egan Bernal, sur la Grand Place de Bruxelles (Belgique), le 4 juillet. Résumé du tour 2019. / MARCO BERTORELLO / AFP

1ÈRE ÉTAPE : BRUXELLES - BRUXELLES (VIA CHARLEROI), 194 KM

Mais alors, contre qui le public va-t-il bien pouvoir s’exciter cette année ? Quel coureur va-t-on houspiller, bousculer, couvrir de crachats depuis le bord de la route ? La face du Tour de France 2019, qui débute samedi 6 juillet à Bruxelles, a subitement changé le 12 juin à Saint-André-d’Apchon (Loire), où Chris Froome aurait mieux fait de mettre pied à terre pour se moucher au lieu de le faire sur son vélo, à 60 km/h, lors d’un entraînement : coup de vent, chute, fémur, coude et côtes fracturés. Et voilà la 106e Grande Boucle privée de son principal favori en même temps que de sa principale tête de Turc.

L’an passé, le quadruple vainqueur du Tour (2013, 15, 16, 17) avait vécu un calvaire : sa présence, un temps compromise par un contrôle antidopage anormal dont il avait finalement été blanchi, avait suscité une hostilité spectaculaire et incessante, dès la présentation officielle des équipes, à La Roche-sur-Yon (Vendée). Pas un sifflet n’a retenti, jeudi, lorsque l’équipe Ineos – qui ne s’appelle donc plus « Sky » – est apparue sur la Grand-Place de Bruxelles, point d’orgue festif d’un avant-Tour inhabituellement pauvre en polémiques. Plusieurs députés et ONG ont bien tenté d’alerter sur le scandale des « goodies », ces gadgets balancés par milliers sur son passage par la caravane publicitaire. Force est de constater que les débats ont été moins enflammés que lors du salbutamolgate.

Esprits rêveurs

C’est donc parti pour le Ronde van Frankrijk 2019, qui empruntera quelques kilomètres au Tour des Flandres samedi, puis fera le tour de Bruxelles en chrono par équipes dimanche, avant d’entamer celui, alléchant, des massifs de l’Hexagone, des Vosges aux Alpes en passant par le Massif central et les Pyrénées, via tout un tas d’ascensions dont les noms fleurent bon la France éternelle du Tour : Planche des Belles Filles, Peyresourde, Ancizan, Soulor, Tourmalet, Izoard, Galibier, Iseran… Cinq arrivées au sommet, dont trois au-dessus de 2 000 mètres. Dénivelé positif total : 54 100 m, 20 % de plus que l’an passé. « Le Tour le plus haut de l’histoire », assurent les organisateurs.

Cette orgie de haute montagne, la pénurie de contre-la-montre (54 kilomètres en tout), l’absence de Froome et celles de Dumoulin et Roglic (2e et 4e en 2018) ont réveillé les esprits rêveurs. Enfin un Tour débridé ! L’année ou jamais pour les Français ! Combien de fois a-t-on lu et entendu ces deux cris du cœur ? Il convient pourtant de revenir à la raison.

Un Tour débridé ? Le « Boss » absent, le bruit court que l’épreuve serait plus ouverte que jamais, que les prétendants à la victoire finale seraient plus nombreux que les boules de l’Atomium, et que les Ineos n’étoufferaient pas la course sous leur cloche soporifique. « L’absence de Froome n’est pas une bonne nouvelle pour eux, mais ça ne remet pas en cause leur force collective, ils ont encore toute une bande de coureurs capables de verrouiller la course », tempère Vincent Lavenu, manageur de l’équipe AG2R-La Mondiale emmenée par Romain Bardet.

Les clés du camion

« L’absence de Froome ne change rien du tout, tranche Marc Madiot, son homologue de la Groupama-FDJ, formation de Thibaut Pinot. Avec Geraint Thomas, Egan Bernal, et même Wout Poels, ça fait une équipe avec trois leaders et une armada d’équipiers qui seraient leaders dans n’importe quelle autre équipe. Au niveau du schéma de la course, ça ne change rien, Ineos a les clés du camion. »

« Au lieu d’avoir quatre coureurs encore présents dans le final en montagne, on en aura trois », a dit Geraint Thomas en souriant, mais ça ne ressemblait pas à une blague. Vous enragiez devant le cadenas Sky ? Vous enragerez devant le cadenas Ineos.

Julian Alaphilippe ne se trouve pas sur cette photo. / THIBAULT CAMUS / AP

Comme l’an passé, le suspense risque surtout de rester cantonné au sein de la formation britannique, où le Gallois Thomas, 33 ans, tenant du titre, et le Colombien Bernal, 22 ans, meilleur espoir et vainqueur de Paris-Nice et du Tour de Suisse cette saison, partent officiellement avec le même statut de co-leader, donc de co-favori.

La vox specialisti imagine bien le récent vainqueur du Dauphiné, le Danois Jakob Fuglsang (34 ans), perturber le duo, en tout cas prendre place sur le podium.

Thibaut Pinot, qui devine cette année « une bonne opportunité », et Romain Bardet, « enchanté » par le parcours et « la troisième semaine la plus dure [qu’il ait] jamais vue dans le Tour », tenteront de s’en approcher.

Mais pour les deux grimpeurs tricolores, âgés de 29 et 28 ans, il s’agira surtout de limiter les dégâts dans le chrono par équipes de dimanche, puis de limiter les dégâts dans le chrono individuel de Pau (13e étape), avant de limiter les dégâts dans les Pyrénées, mais aussi de limiter les dégâts dans les Alpes, afin de limiter les dégâts finaux sur les Champs.

L’année ou jamais pour les Français ? Non, deux fois non : parce qu’on peut affirmer que ça ne sera pas cette année ; et parce qu’on ne peut pas affirmer que ce sera jamais – évidemment, si un Français l’emporte le 28 juillet, cet article s’autodétruira et nous nierons l’avoir écrit.

Le Tour 2019 s’élance de Bruxelles pour célébrer le cinquantenaire du premier des cinq triomphes d’Eddy Merckx. Il reste un peu moins de quinze ans à un coureur français pour éviter que le départ du Tour 2035 ne soit donné depuis Yffiniac (Côtes-d’Armor), chez Bernard Hinault, pour célébrer le cinquantenaire de la dernière victoire tricolore.

Sur ce, Chris Froome vous souhaite un bon Tour de France à tous !

Départ à 12 h 25. Arrivée prévue autour de 17 heures.

A PART ÇA, chef-d’œuvre de Frédéric Moncassin, Maillot jaune sur le Tour en 1996, vendredi dans L’Equipe (qui consacre un hors-série à tous les coureurs français l’ayant un jour porté) : « Je le dis, le Tour, c’est chiant. Ça ne me faisait vraiment pas vibrer. C’est une fête, une foire, c’est là où il y a le plus de sponsors, le plus de caméras, mais ce n’est pas mon vélo. Une bonne partie des spectateurs, ils n’en ont rien à foutre du vélo, ils viennent pour ramasser des bonbons. Et éventuellement voir 180 blaireaux, parce que les coureurs, ce sont des clowns qui viennent faire une animation pour les sponsors. »

Illustration merveilleuse de ce propos ces jours-ci dans un supermarché de la banlieue bruxelloise, Lidl, sponsor de l’équipe Deceuninck - Quick Step, dont les coureurs tenaient une conférence de presse pour évoquer leurs ambitions entre le rayon charcuterie, les barils de lessive en promo, et les cartons débordant de plats cuisinés à réchauffer (2,79 € la barquette de roulades de chicon au jambon).

Julian Alaphilippe se trouve sur cette photo. / HENRI SECKEL / « LE MONDE »

A PART ÇA, il est entendu que le vainqueur du Tour ne recevra pas autant d’honneurs à l’arrivée qu’Eddy Merckx n’en a reçus avant le départ. Disons-le : l’hommage au plus grand cycliste de l’histoire a parfois frôlé l’overdose. L’INA a eu la riche idée d’apporter un son de cloche un peu dissonant avec cette pépite, où l’on constate que tout le monde n’aimait pas Eddy Merckx à l’époque.

Merckxi bien pour ce jeu de mots. / JEFF PACHOUD / AFP