2E ETAPE : BRUXELLES PALAIS ROYAL - BRUXELLES ATOMIUM, 27,6 KM - CONTRE-LA-MONTRE PAR EQUIPES

Photo-légende. / Thibault Camus / AP

Allez Eddy ! Plus qu’une journée. Une journée de paluches à agiter, de sourires à offrir, de selfies à souffrir. Raconter une dernière fois les jours en jaune, l’échappée vers Mourenx, l’accueil au Palais Royal le jour où Neil Armstrong a posé le pied sur la Lune. Lundi matin, pas de réveil. Reste au pieu. On te fiche la paix, comme tu l’avais demandé.

C’était il y a 100 jours, sur la place de Woluwé-Saint-Pierre, le bourg de son enfance, dans la banlieue de Bruxelles. Rodrigo Beenkens, présentateur de la RTBF, la télévision wallonne :

« - Qu’est-ce que vous n’avez pas encore et que vous voudriez avoir, Eddy ?

- La paix, haha. »

C’était drôle et sincère, puis Merckx avait renfilé sa tenue d’ambassadeur à la vitesse d’un transformiste, assurant qu’il participerait « avec plaisir » aux festivités du départ du Tour de France à Bruxelles, qui lui doit beaucoup (ainsi qu’à l’argent versé par la ville pour accueillir la course, car ce n’est pas le devoir de mémoire qui va assurer les fins de mois de la famille Amaury).

« Ce n’est pas facile pour lui »

Grâce à une stratégie de harcèlement dont nous ne sommes pas fiers, on a fini par avoir la légende au téléphone, à une semaine du Grand départ, et on l’a asticoté sur l’air de « quand même, M. Merckx, pressé que ça se termine ? » Autant faire avouer à un chameau qu’il a soif : « Ça fait partie de l’ensemble. C’est un honneur, donc il y a certaines choses qu’il faut accepter. C’est extraordinaire pour moi. »

Du coup, on ne savait trop quoi faire de ce que nous avait dit, la veille, son bon copain Josef Spruyt, un ancien coéquipier de chez Faema : « Ce n’est pas facile pour lui, il est fatigué, il a tous les jours quelque chose. Plus qu’une semaine et ça ira mieux… »

Ce n’est pas Merckx en jaune. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Il est poli, Eddy, trop poli, disait Jacky Ickx, autre géant du sport belge, cette semaine dans Le Soir : « Le seul défaut que je lui connaisse, c’est de dire tout le temps oui. »

Après les festivités à 100 jours du départ, en mars, il avait fallu mettre un terme aux sollicitations. M. Merckx n’en pouvait plus. Inauguration d’un square à son nom, dédicace d’un Thalys, lancement d’un livre, vernissage d’une exposition…

Selfies

Un haut responsable de l’organisation du Tour de France ayant eu l’habitude d’accompagner Bernard Hinault dans tout le pays, quand Le Blaireau était encore ambassadeur de l’épreuve, a jugé ces derniers mois de l’effet Merckx outre-Quiévrain : « Par rapport à Hinault, Merckx en Belgique, c’est puissance 10. En France, il n’y a que le public du Tour qui approche Hinault. Mais les jeunes belges veulent des selfies avec Merckx. »

Ses apparitions sont christiques. On entend d’abord une rumeur monter : « C’est Eddy, c’est Eddy », rapidement suivie d’une scansion, de plus en plus forte : « Eddy (prononcer Heeeeïdi), Eddy ! Eddy, Eddy ! » Jeudi, sur la Grand-Place, la plus belle ovation, de loin, lui fut réservée.

« Il a dû mal à supporter sa notoriété, dit son ami Raymond Poulidor à la RTBF. Il est allergique aux gens. Il ne veut pas qu’on rappelle son palmarès. Il est très humble. » C’est vrai qu’il ne s’appartient plus vraiment, ce monsieur de 74 ans que le cyclisme rendait invincible mais qui s’entend craquer de toutes parts, ces dernières années.

Eddy et ses gardes du corps. / Thibault Camus / AP

Les vrais amis sont rares

Sa prise de poids, la pose d’un pacemaker en 2013, une (petite) intervention cardiaque un an plus tard… La Belgique suit la santé de Merckx comme le Brésil celle de Pelé. Ses amis s’inquiètent parfois. Il s’entretient bien, mieux que ça même : une soixantaine de kilomètres trois fois par semaine, avec les anciens coéquipiers qui sont ses rares amis, avec deux légendes du sport belge, Ickx et le footballeur Paul Van Himst.

Mais les disparitions de proches – son frère, en 2017, et le fidèle Patrick Sercu, en avril – l’ont affecté et cette préparation du Grand Départ lui a causé du souci. Il a découvert son barnum avec « ahurissement » écrit son biographe Stéphane Thirion dans la dernière version de son autobiographie, On m’appelait le Cannibale (La boîte à Pandore, 2019) :

« Eddy Merckx n’a jamais aimé l’excès, sinon dans l’effort. Il a rarement goûté à la démesure, sinon dans le dépassement de soi. De bonne grâce, il concourt à la réussite du Tour 2019, à l’essor de Bruxelles qui puise à travers lui les vibrations du temps jadis mais (…) il aspire à la sérénité absolue, celle qu’il a finalement rarement atteinte ».

Après lundi, Merckx pense partir en vacances. Il regardera quand même le Tour à la télévision.

Départ d’Ineos, première équipe, à 14h30. La dernière, Jumbo-Visma, à 16h15.