Pour les 100 ans du maillot jaune, la seule équipe couleur canari du peloton, Jumbo-Visma, en met partout dans ce premier week-end du Tour de France : après la victoire de Mike Teunissen samedi, elle écrase le contre-la-montre par équipes, devant Ineos et Deceuninck-Quick Step. Teunissen renforce son maillot jaune que Julian Alaphilippe aura bien du mal à prendre, lundi, à Epernay. Romain Bardet perd gros, comme prévu, à l’inverse de Thibaut Pinot, placé grâce à la huitième place de son équipe Groupama-FDJ.

Rudy Molard sort du rang. / GONZALO FUENTES / REUTERS

« Pour vous c’était inespéré, mais nous on savait très bien. » Et paf. Thibaut Pinot, quand il en remontre aux journalistes, arbore toujours un sourire gourmand, et il l’avait jusqu’aux oreilles, à l’ombre de l’Atomium de Bruxelles, dimanche 7 juillet. L’équipe Groupama-FDJ venait de terminer à 12 secondes de l’équipe Ineos sur un contre-la-montre par équipes de 27,7 kilomètres, et de reprendre plus de 30 secondes à des adversaires directs pour le classement général, comme Nairo Quintana, Richie Porte ou Romain Bardet. L’équipe française finit huitième, loin de Jumbo-Visma, comme tout le monde, mais à six secondes du top 5 dont rêvait Thibaut Pinot. C’est le meilleur résultat de l’histoire de l’équipe dans le Tour de France, et du jamais vu pour une équipe française depuis la sixième place du Crédit Agricole, spécialiste de l’exercice, en 2005.

Ce qui frappe, donc, c’est que la Groupama-FDJ digère cela comme une étape sans histoire. « Les gens nous voyaient perdre une minute, mais nous on savait qu’on était capable de réaliser une belle performance, poursuit Thibaut Pinot. On est très homogènes et tous en forme. » La Groupama-FDJ récolte les fruits d’un travail entamé en 2012, lorsque les entraîneurs de l’équipe avaient peiné à trouver six volontaires pour aller à l’abattoir que promettait d’être le championnat du monde de la spécialité, à Valkenburg. Cette raclée - 21e place -, Matthieu Ladagnous et William Bonnet, présents sur le Tour, en étaient.

Thibault Camus / AP

« Gagner du temps et non en perdre »

Depuis, l’équipe a travaillé sur le matériel, la technique et les hommes. Le recrutement de Steve Morabito, en 2015, puis de Stefan Küng, cette année, ont fait faire des bonds à l’équipe française. Notamment parce qu’ils amenaient avec eux l’expertise de l’équipe BMC, double championne du monde de l’exercice, et dans le cas de Küng son mécanicien belge, spécialiste du contre-la-montre.

« Küng a apporté de la sérénité, juge Julien Pinot, l’entraîneur de la Groupama-FDJ. Il dégage quelque chose, il a de l’expérience. Il a été champion du monde donc quand il parle, on écoute. » Ce pourrait être une réplique d’Audiard, ramenée aux mensurations raisonnables des coureurs cyclistes : « Quand les types de 80 kilos disent certaines choses, ceux de 50 kilos les écoutent. »

Quand les types de 130kilos disent certaines choses
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Ainsi, lorsque ce Suisse balèze a débarqué cet hiver, les grimpeurs de l’équipe ont ouvert leurs petites esgourdes. « C’était déjà important de changer la mentalité, souligne Küng. On prend le départ pour gagner du temps sur ses adversaires et non en perdre. J’en ai gagné un paquet avec BMC, je suis un expert du contre-la-montre par équipe, donc mon rôle le plus important a été de mettre l’équipe en confiance, de leur dire : “Les gars, vous êtes forts, performants, on a fait ce qu’il fallait pour être à la hauteur des meilleurs.” C’est aussi à moi de prendre des longs relais pour rendre le calme à l’équipe. »

Au-delà de la prise de conscience des possibilités de l’équipe, que Julien Pinot fait remonter à 2016 - une troisième place sur Tirreno-Adriatico -, un important travail technique a été réalisé cette année, notamment lors d’un stage en Alsace à la fin du mois de mai, ponctué de longs débriefings. Où Thibaut Pinot a trouvé sa place, entre l’habile Mathieu Ladagnous - formé sur la piste - et Sébastien Reichenbach, capable de maintenir la vitesse sans donner d’à-coups préjudiciables au replacement du leader.

« C’est important de récolter les fruits de tout cela, estime Thibaut Pinot. Sans le travail, c’est compliqué. » On ne sait si, à cet instant, il pensait à l’équipe AG2R, 19e de l’étape. Certes affaiblie par des blessures, la formation de Romain Bardet assumait d’avoir moins travaillé la discipline que la saison précédente.

Le Maillot doublement jaune, Mike Teunissen. / FRANCOIS LENOIR / REUTERS

Le Tour du comptoir : Bruxelles (Dilbeek, plus précisément)

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Où l’on n’a pas vu Eddy Merckx dîner à midi.

L’endroit se trouve à la fois à moins de dix kilomètres et aux antipodes de la Grande Place où il a été célébré avant le Tour : bienvenue dans la zone d’activité commerciale de Dilbeek, frontière nord-ouest de Bruxelles, coincée entre le périphérique et la A10, succession d’immeubles de bureaux cubiques tristes à pleurer, de part et d’autre d’une rue déserte aussi grise que le ciel belge ce matin-là. C’est au milieu de cette morne plaine périurbaine que la vedette du 106e Tour de France a ses habitudes, à l’hôtel restaurant Gosset.

« Eddy Merckx vient chaque semaine, confirme Steven, l’un des sympathiques employés de l’établissement, qui dispose d’une vue imprenable sur les stocks de carrelage de l’entreprise Intercarro. Pourquoi il vient ici, je ne sais pas. Il s’entend bien avec le patron. Et on n’est pas loin de son entreprise de vélos », les Cycles Eddy Merckx, effectivement située à quelques encablures.

Une fois par semaine, donc, le grand Eddy vient ici boire un coup ou manger un morceau, notamment les jours de match du RSC Anderlecht, avec son ami et ancienne gloire du club Paul Van Himst (309 buts en 566 matchs), meilleur footballeur belge de l’histoire selon certains, et surtout ancien beau-père de Laurenzo Lapage, 53 ans, aujourd’hui directeur sportif de la formation Mitchelton-Scott après une modeste carrière cycliste, comme quoi le monde est petit, c’est fou.

Steven nous apprend que le Cannibale sirote volontiers un spritz en été, mais ne nous dira pas s’il préfère s’envoyer un steak tartare (« grand classique de la maison ») ou des Mosselen Gosset, des moules cuites dans de la Duvel. « Tu connais la Duvel ?, demande la serveuse, Christy. Ah c’est spécial hein ! » On a bien quelques souvenirs « spéciaux » de lendemains de soirées à la Duvel, oui.

En passant moins d’une heure au Gosset, de bon matin, un jour d’étape du Tour à Bruxelles, on se doutait que nos chances d’y croiser Eddy étaient assez réduites. Hormis sur la une des journaux dans l’entrée de l’hôtel, on ne l’a pas vu. On n’a d’ailleurs vu personne, le grand comptoir du restaurant était désert, ce qui s’explique sans doute par le fait qu’on était dimanche, et qu’Intercarro et les autres bâtiments cubiques sont fermés le dimanche.

On a donc discuté avec les employés qui nous ont appris deux choses : Gosset, prénom Alphonse, est un architecte de Reims, dont certains bâtiments serviront de décor au départ de la quatrième étape, mardi. Surtout, alors qu’on souhaitait bon appétit à Steven, Christy et Marie, réunis autour d’un déjeuner (lasagnes) bien précoce (11 h 15), ils nous ont expliqué qu’ils n’étaient pas en train de déjeuner, mais de dîner. C’est ainsi, ici, le petit-déjeuner s’appelle le déjeuner, le déjeuner le dîner, et le dîner le souper. On repartira de Belgique un peu moins bête.

Steven, Marie, Christy.

C’est ici qu’a été conçu le vélo de Romain Bardet, sachez-le.