Gâchis est le terme que l’on accole souvent à la carrière solo de Rod Stewart, débutée de flamboyante manière il y a un demi-siècle avec une poignée d’albums indispensables avant de connaître un long déclin à partir des années 1980. Une conception hédoniste de l’existence au détriment de l’effort, une exaltation de la culture lad (le triptyque bière, blondes et ballon rond) et un mauvais goût revendiqué (la période disco léopard) n’ont pas rendu justice à une des plus singulières voix du rock, dont l’éraillement a fait école – de Bonnie Tyler à Kim Carnes.

Le concert que le chanteur a donné samedi 6 juillet à Paris-Bercy a confirmé cette impression. Négligent, l’Ecossais d’origine et de cœur n’avait plus chanté en France depuis 1995, privilégiant le Sporting Club de Monte-Carlo et passant surtout le plus clair de son temps scénique au Caesars Palace de Las Vegas. Ce tropisme se constate dès son apparition pour Having a Party, le classique de Sam Cooke : toujours coiffé comme un hérisson, Rod « The Mod » s’est entouré de six muses (blondes évidemment) en robes charleston dont les rôles évoluent, d’instrumentistes (une harpe et deux violons) et choristes à pom-pom girls imitant Tina Turner.

Une attraction pour touristes

L’orchestre masculin, veste rose sur pantalon noir, semble provenir d’un bal des lycéens. Ces participants sont généreusement mis en valeur par le meneur de revue, qui en profite pour s’absenter à quatre reprises, officiellement pour changer de tenue. On a alors droit à des solos de remplissage, mais aussi à un absurde numéro de claquettes conclu en gigue et à une éprouvante reprise du She Works Hard for the Money, de Donna Summer, par une des vocalistes.

Tout cela procure l’étrange illusion de se trouver sur le Strip de Las Vegas – des images de roulette et de black jack font irruption sur l’écran géant –, ce circuit des semi-retraités du rock. Donc à une attraction pour touristes (lâcher de ballons à la fin) ayant renoncé à toute ambition musicale. Rod Stewart ne se donne pas la peine de défendre son nouvel album, Blood Red Roses, sinon par une relecture au bulldozer de Rollin’ and Tumblin’, ce standard sacré du blues qu’il dédie à son ami et voisin de Los Angeles, Johnny Hallyday. Le plus frustrant est qu’à 74 ans la voix du survivant est miraculeusement belle et bouleverse encore dans les ballades (Reason To Believe, I Don’t Want to Talk About It, Sailing). De ce don, hélas, Rod Stewart ne sait plus depuis longtemps que faire.