Cette journée des oraux de rattrapage du baccalauréat est le point d’orgue d’une session qui n’en finit plus de tanguer. Lundi 8 juillet au matin, alors que 103 800 candidats étaient convoqués pour passer le second groupe d’épreuves, il manquait encore les résultats de 10 000 copies environ, qui « seront rendues aujourd’hui », assure-t-on au ministère de l’éducation.

Le mouvement de retenue des notes par des enseignants grévistes – 700 correcteurs sur 175 000, selon le ministère, « beaucoup plus » selon les syndicats – n’a pas empêché le ministre de l’éducation, Jean-Michel Blanquer, de communiquer vendredi les résultats provisoires (attestant d’un taux de réussite de 77,7 %, en recul de 1,1 point par rapport à 2018). Ces résultats se fondent, pour la frange d’élèves dont la copie a été bloquée, sur la moyenne de l’année au contrôle continu, et non sur leur note aux épreuves finales. La « moins pire » des solutions devenant la « meilleure solution » pour M. Blanquer.

Elle n’en pose pas moins de « nombreuses questions du point de vue de la légalité », affirme l’avocate Valérie Piau, spécialiste en droit de l’éducation. Elle plonge aussi les élèves dans « l’incertitude sur leurs résultats », explique-t-elle, et pas seulement les lycéens convoqués pour le rattrapage.

Depuis que le ministre de l’éducation a annoncé, pour une partie des candidats, un changement dans les règles d’évaluation au baccalauréat, on entend des enseignants, et désormais aussi des parents, s’alarmer d’une « rupture d’égalité ». Qu’en est-il du point de vue du droit ?

Il y a rupture d’égalité quand des personnes, dans une même situation, sont traitées différemment. Dans le cas présent, puisque certains élèves vont pouvoir bénéficier du choix de leur meilleure note [celle au contrôle continu ou celle de l’épreuve finale une fois qu’elle aura été communiquée], il y a déjà une rupture évidente d’égalité entre les élèves d’une même classe.

Je perçois une deuxième rupture : l’un des grands principes du droit français est que les lois ne rétroagissent pas. Les modalités de l’évaluation au baccalauréat sont fixées par des textes (circulaire, charte des examens), fixées par avance et qui s’appliquent à tous. Les faire évoluer, de manière rétroactive, pour certains candidats pose donc question. Cela peut faire craindre un régime à deux vitesses. Il n’est pas exclu que cela génère des contentieux.

Pour quels effets sur les candidats ?

On entend parler d’élèves convoqués aux oraux de rattrapage, mais à qui on pourrait dire, dès lundi soir, qu’ils étaient en fait déjà reçus [au vu de leur note finale]. Je doute que cela concerne beaucoup d’élèves : le taux de réussite au bac atteint des records, seuls 10 % environ des candidats échouent aujourd’hui… Je connais peu d’élèves qui ont 15/20 toute l’année en philo et 5/20 le jour du bac… L’inverse est aussi vrai. Les déconvenues ne devraient en réalité pas être si fréquentes.

Mais le navire a tangué, et le climat est devenu très anxiogène. Tous les candidats sont plongés dans l’incertitude sur leurs résultats et peuvent légitimement s’interroger sur le traitement qui leur est fait.

Pourquoi un élève, même s’il n’est pas concerné par la rétention des notes, ne pourrait-il pas demander, lui aussi, de bénéficier de la liberté de choix donné à son camarade qui a été privé temporairement de sa copie ? La question n’est pas absurde.

Pour garantir une situation d’égalité à tous, l’institution aurait pu soit retarder la publication des résultats, soit donner à tous le choix entre la meilleure de ses notes – note en contrôle continu ou note à l’examen.

Vous attendez-vous à ce que des familles fassent appel des résultats en nombre ?

Dès vendredi, jour de la proclamation des résultats, des parents ont commencé à se tourner vers moi. Ils ont deux mois, à compter du 5 juillet, pour saisir les tribunaux administratifs. Il est important que les familles comprennent que les jurys sont souverains. Autrement dit, pas même un juge peut se retourner contre un jury…, sauf s’il est démontré que l’examen s’est déroulé dans des conditions anormales. Or les récits des délibérations organisées dans toute la France, qui nous sont remontés par voie de presse ces derniers jours, nous incitent encore une fois à nous poser des questions.

Ces jurys ont, semble-t-il, délibéré jeudi sur la base de notes différentes pour certains élèves [celle obtenues durant l’année]. Il semble qu’ils aient encore à délibérer, lundi, quand toutes les copies auront été rendues. Or une deuxième délibération d’un jury, pour les mêmes candidats, à ma connaissance, cela n’existe pas ! On est dans de l’inédit juridique. Comme il n’y a pas de jurisprudence, ce sera au juge du tribunal administratif de trancher.

Se saisir du tribunal administratif pour contester une évaluation scolaire, est-ce fréquent ?

Cela arrive quand les conditions de passation sont jugées anormales : par exemple, quand un enfant dyslexique n’a pas l’équipement adéquat (un ordinateur à sa disposition par exemple) ; quand des jeunes en situation de handicap ne bénéficient pas, lors des épreuves, de l’aménagement qui est prévu. J’ai aussi accompagné une famille dont l’enfant, à l’oral de français du bac, avait vu son enseignant examinateur répondre au téléphone.

En droit administratif il y a toujours plusieurs échelons. On peut d’abord faire un recours hiérarchique, écrire au centre des examens ou à son rectorat. Sans réponse, aller au tribunal administratif est une possibilité. Après, on peut aussi envisager une autre action devant le tribunal administratif, appelée « en plein contentieux ». Elle nécessite de démontrer la faute de l’Etat, le préjudice subi, et le lien entre les deux. Est-ce que des jeunes verront leur traitement dans Parcousup impacté par des résultats au bac en deux temps ? A voir.

Les enseignants grévistes seront sanctionnés, le ministre de l’éducation l’a affirmé à plusieurs reprises. Sont-ils allés trop loin ?

La grève est un droit. Mais il y a des modes de grève interdits – comme la grève « tournante », qui revient à désorganiser le service en n’en faisant qu’une partie. Ce dont on peut être sûr, c’est qu’en retenant les copies, qui sont la propriété de l’Etat, les enseignants ont pris un gros risque. Ils auraient pu remettre les copies non corrigées, ce qui donnait aux rectorats la possibilité de s’appuyer sur des correcteurs suppléants. En ne le faisant pas, d’une certaine manière, ils ont « occupé » les copies comme on « occupe des locaux ». Et je pense qu’il peut leur être reproché d’avoir empêché d’autres personnels de travailler.

L’Etat soutient que c’est illégal. Les syndicats soutiennent que c’est légal. Seul un juge pourra trancher.