Pour le retour en France par la Champagne, Julian Alaphilippe offre au pays un numéro impérial et s’offre l’étape et le maillot jaune. En attaquant dans la dernière côte répertoriée du parcours, à 16 kilomètres de l’arrivée, le Français de Deceuninck-Quick Step résiste à un peloton désorganisé et s’impose dans l’arrivée en bosse d’Epernay, une demi-minute devant le groupe des favoris réglé par Michael Matthews.

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Julian Alaphilippe a deux jambes étonnantes et un humour qui ne l’est pas moins, révèle son coéquipier Yves Lampaert : « Des fois il dit : “Tu l’as vu lui ?” Moi je réponds : “Qui ?”, là il dit : “Mon cul !” et il rigole. » Bon. Heureusement, il y a aussi le vélo : l’attaque du Français à 16 kilomètres de l’arrivée, quand le peloton tournicotait autour entre les vignes qui font la richesse d’Epernay, n’a fait rire personne. Alaphilippe est maillot jaune, première française depujis 99 étapes et le court intermède - une journée - de Tony Gallopin, en 2014.

Sur le Tour de France 2019, il n’y avait rien d’aussi attendu que l’attaque de Julian Alaphilippe dans le final de cette troisième étape, hormis peut-être la couleur du maillot de leader et l’apparition d’Eddy Merckx sur la Grand-Place de Bruxelles. Pourtant, lorsque, à sa façon de boxeur, corps qui swingue, Alaphilippe s’est levé sur ses pédales à 200 mètres du sommet de la vilaine côte de Mutigny, personne n’a pu ou osé suivre. Pas même le Colombien Egan Bernal, qui était dans sa roue à cet instant.

La suite, c’est une descente kamikaze à travers les vignes et un contre-la-montre de 15 kilomètres sur des routes qu’il connaît par cœur, pour y avoir roulé mercredi dernier, en prévision du grand jour. Viennent les pavés de l’avenue de Champagne d’Epernay, bordée des grandes maisons qui ont fait couler les bulles toute la journée, et les pourcentages de la bosse finale. Alaphilippe les avale comme ces bidons de bières qu’il attrape à la volée dans les critériums. Le peloton est encore loin. Le Montluçonnais farçeur a gagné comme il aime, avec panache : « C’est ce que je sais faire de mieux sur le vélo, en fait. »

« J’ai la rage »

Le voilà en jaune, son ambition de début de Tour de France qu’il avait abandonnée la veille à l’issue du contre-la-montre par équipes, écrasé par la Jumbo-Visma. A son ami le coureur luxembourgeois Bob Jungels, absent du Tour mais qui a dévoilé après coup leur échange de messages, Alaphilippe promet alors : « Je vais essayer (de gagner l’étape) frérot, j’ai la rage. C’est sûr que pour le maillot, maintenant, c’est presque mort. »

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« Je pensais que ça allait être compliqué pour le maillot jaune et je n’imaginais pas partir aussi loin de l‘arrivée, explique-t-il longtemps après les embrassades et les bouquets. J’ai demandé à Dries Devenyns (son coéquipier) de monter la côte de Mutigny à bloc pour voir la situation au sommet. (...) J’ai encore un peu jaugé mes adversaires, pris le temps de voir ce qui se passait autour, et finalement quand j’ai attaqué je ne me suis pas retourné, je n’ai pas réfléchi à un éventuel regroupement. » En un mot : « Grandiose » pour Alaphilippe, « phénoménal » pour Lampaert, qui complète : « C’est le peloton du Tour de France, on n’est pas chez Peter et Paul » - ce qui doit vouloir signifier, en Flandres, une course d’amateurs.

Ce lundi soir, Patrick Lefevere, patron de la Deceuninck, envisageait sous son panama « un camion de champagne ». L’homme est assoiffé. Nous est revenue cette parole prononcée dans les rayons d’un supermarché de Bruxelles, où se tenait la conférence de son équipe : « Nous n’en avons jamais assez. Si vous dites, “c’est assez”, vous faites comme le petit chien qui se met sur le dos et dont on frotte le ventre. Il ne faut jamais faire ça avant Paris. »

Les deux hommes partagent une forme de voracité et un goût de la transgression. Le 1er juin, ils ont arrosé la prolongation de contrat d’Alaphilippe au Dom Pérignon, millésime 2006. La maison champenoise le décrit comme « aérien et lumineux ». Attention, toutefois : la bouche est « complexe » et « à fleur de peau ».