Dans le centre de formation privé Nègè Blon de Bamako, qui a formé depuis dix ans près de mille jeunes aux métiers de la métallerie au Mali. / Facebook Nègè Blon

« Lime cette partie avec la meuleuse pour qu’elle soit bien lisse », crie Bengali Guédiouma à son camarade. Sous un hangar, ils sont une douzaine à plier, couper et poncer des feuilles de métal pour fabriquer une chaise. A Nègè Blon, un centre de formation professionnel de chaudronnerie en périphérie de Bamako, les bruits stridents des machines industrielles remplacent le calme habituel des salles de classes conventionnelles. Comme les 111 autres élèves de ce centre de formation en chaudronnerie et soudure, Bengali, 32 ans, est l’un des nombreux accidentés du système éducatif classique malien. Entre 1994 et 2013, il a passé neuf ans à traîner sur les bancs de l’école. « J’ai tenté cinq fois le baccalauréat, mais je l’ai raté à chaque fois », soupire-t-il. Avant d’ajouter : « La plupart des gens de ma classe ont échoué aussi ! » En 2018, au Mali, moins de trois lycéens sur dix ont obtenu leur bac. Ce ratio bas, en baisse par rapport à 2017, souligne les dysfonctionnements de l’école dans le pays.

Après ses cinq échecs, et alors qu’il avait à peine 18 ans, Bengali Guédiouma a abandonné l’école pour devenir gardien. « On travaillait douze heures par jour. Ça ne me plaisait pas, mais il fallait bien que je gagne ma vie, explique-t-il en regardant ses camarades poursuivre leurs travaux pratiques. Ici, au moins, j’apprends des choses concrètes et je vais pouvoir trouver un vrai travail à la sortie. »

« Refaire une formation »

Les taux d’insertion des diplômés du centre font rêver : 65 % en moyenne en 2017 et 2018. « Il y a près de 900 entreprises industrielles au Mali. Presque toutes ont besoin de services de chaudronnerie. Concernant l’artisanat, il y a environ 3 300 entreprises dans le secteur de la métallerie, rien que dans le district de Bamako ! La chaudronnerie est partout, c’est un secteur porteur dans lequel il faut inciter les jeunes à se former », analyse Kader Dicko. Le directeur de Nègè Blon l’assure : son centre est le seul du Mali à proposer des formations professionnelles en chaudronnerie. « Le problème dans notre pays, c’est que les jeunes n’aiment pas la formation professionnelle, regrette quant à lui Bengali Guédiouma. Tout le monde veut faire des études à l’université, même s’ils seront chômeurs à la sortie. »

Au Mali, plus on fait d’études, plus on prend le risque de se retrouver au chômage. « Les individus qui n’ont aucune qualification présentent un taux de chômage moins élevé que les diplômés », relève un document de travail des ministères chargés de l’éducation daté de mai 2018 que Le Monde Afrique s’est procuré. Le taux de chômage des 15-29 ans non qualifiés était estimé à 24 % en 2015, de 35 % pour les titulaires d’un CAP et de 50 % pour les détenteurs d’un diplôme universitaire. Preuve s’il en fallait du « manque d’adéquation entre le système éducatif » et « le marché du travail », souligne le document.

Fort de ce constat, Kader Dicko, lui, a fait de la formation professionnelle son combat quotidien. C’est, selon lui, l’un des meilleurs moyens pour remettre en adéquation l’école et le marché du travail. « Le pays est sous-industrialisé et tout le monde veut faire des études en sciences sociales où il n’y a que très peu de débouchés. (…) Des formations professionnelles et techniques existent, mais elles sont également déconnectées du marché du travail. Beaucoup sont obligés de refaire une formation », analyse-t-il, assis à son bureau.

Depuis quelques années, le gouvernement malien multiplie aussi les efforts pour attirer sa jeunesse vers ce type de cursus. De 63 800 élèves en secondaire professionnel en 2008-2009, leur nombre est passé à 108 600 en 2015-2016, soit une augmentation moyenne des effectifs de 10 % par an. « Mais le lien avec les besoins de l’économie reste encore posé », souligne le document de travail des ministères de l’éducation.

Comme son père

En 2019, le projet de loi de finances prévoit la mise en route de dix nouveaux centres de formation professionnelle pour 332,5 millions de francs CFA (507 000 euros). Pour les financer, le budget alloué à la formation professionnelle a augmenté de 13,6 % cette année, par rapport à 2018. Mais, pour M. Dicko, qui regrette qu’« elle soit le parent pauvre avec seulement 3 % du budget alloué à l’éducation », il reste encore du chemin.

Depuis la création du centre, il y a dix ans, près de 960 élèves y ont été formés. Le directeur assure ne pas bénéficier de subventions étatiques, bien que le diplôme en chaudronnerie délivré par Nègè Blon soit reconnu par la Direction nationale de la formation professionnelle (DNFP). « Nous faisons partie des rares centres de formation privés qui survivent grâce à nos commandes. Mais nous aimerions évidemment bénéficier d’un financement durable de l’Etat », insiste-t-il.

En attendant, pour payer les frais de fonctionnement et maintenir l’enseignement gratuit, Nègè Blon mise sur les recettes tirées des prestations qu’il propose aux entreprises. Les activités de pliage et de découpage industriel permettent de financer 30 % du budget de l’école. Le reste provient d’une ONG suisse. « On a juste 60 000 francs CFA [91 euros] à payer pour nos équipements de protection », s’enthousiasme Mariam Mariko, après avoir lâché son chalumeau. La jeune femme de 20 ans n’a jamais rêvé d’un parcours universitaire. Elle veut ouvrir un atelier de chaudronnerie, comme son père. « Et ce, même si mes amis me disent que ce que je fais n’est pas un métier de femme, je continue, car c’est là qu’il y a du travail. » Comme quoi, la chaudronnerie permet aussi d’avancer vers une plus grande égalité des sexes.