Le match Amiens-Dijon a été interrompu, le 12 avril, après que le capitaine amiénois Prince Desir Gouano a fait l’objet  de cris racistes. / JEFF PACHOUD / AFP

C’est une mesure symbolique qui entrera en vigueur à la reprise de la saison de Ligue 2 (26 juillet) et de Ligue 1 (9 août). Dans le cadre de son « plan de lutte contre les discriminations », la Ligue de football professionnel (LFP) va lancer une fiche de signalement afin d’identifier les auteurs d’insultes, propos et chants racistes, antisémites, homophobes ou sexistes dans les stades, a appris Le Monde.

En partenariat avec la LICRA (Ligue internationale contre le racisme et l’antisémitisme), avec laquelle elle a signé une convention en mars, l’instance souhaite encourager les témoins et victimes de ces dérives à les dénoncer pour enclencher une procédure disciplinaire et judiciaire.

« Nous nous dotons d’un nouvel outil pour lutter contre le racisme et l’homophonie, et mieux cibler les fauteurs de troubles, explique au Monde Nathalie Boy de la Tour, présidente de la LFP. Une minorité ne doit pas gâcher le plaisir de la majorité de venir assister à un match de football. On veut passer à la vitesse supérieure pour écarter tous les comportements déviants dans les stades, qui sont le fait d’une petite minorité. Je ne veux pas qu’il y ait un amalgame avec l’ensemble des spectateurs. »

Ce formulaire sera accessible sur le site internet de la LICRA et le signalement pourra être anonymisé. Il devra être complété sous quarante-huit heures afin qu’un dossier soit transmis par la LICRA à la LFP, qui pourra saisir sa commission de discipline, souveraine pour prendre les sanctions appropriées.

« Il ne s’agit pas d’être la police de la pensée mais de venir au soutien d’une victime de propos racistes, antisémites ou homophobes dans un stade, assure l’avocat Mario Stasi, président de la LICRA, qui va apporter son expertise juridique à la LFP. On va l’aider à faire reconnaître qu’elle a été injuriée, insultée, discriminée en construisant un dossier, trouvant des témoins, faisant en sorte que l’auteur soit identifié, notamment grâce aux enregistrements vidéos, et rapidement sanctionné. Il faut coupler ça avec le souci de la prévention. »

« Un dispositif inédit » en France

Ce volet « prévention » est au cœur de ce plan. La LFP a lancé des ateliers de sensibilisation à destination des clubs, s’adosse à plusieurs associations, a créé un groupe de travail transversal avec les syndicats d’entraîneurs, de clubs professionnels et de joueurs, et a organisé, le 17 mai, une journée dédiée à la lutte contre l’homophobie.

Dans un courrier en date du 5 juillet, que Le Monde a consulté, Mme Boy de la Tour a informé les présidents des clubs de Ligue 1 et de Ligue 2 du lancement de cette fiche de signalement, « dispositif inédit » en France. « C’est dans la droite ligne de ce qu’attendent les présidents de clubs, ça va les aider à cibler une minorité de personnes, plutôt qu’avoir une sanction disciplinaire qui touche l’ensemble de leurs supporteurs », observe la présidente de la LFP.

« La convention aide à la responsabilisation de tous et permet une prise de conscience indispensable sur ce que l’on a droit de dire dans un stade comme ailleurs : le racisme, l’antisémitisme et l’homophobie ne sont pas des opinions mais des délits, elle aidera les présidents de clubs, ajoute Mario Stasi. Le racisme est autant le fruit de l’ignorance que de l’intention nauséeuse. Il faut s’attaquer à l’ignorance et ce dès l’école. »

« Dès qu’un propos raciste est proféré dans un stade, il faut montrer qu’on peut dire stop, qu’il va y avoir un suivi judiciaire et qu’on va aider à constituer un dossier et qu’il devra y avoir une sanction rapide, juste et intelligente avec si possible l’ambition que l’auteur prenne conscience du délit commis, en le condamnant à des stages de citoyenneté », développe le président de la LICRA.

Emmanuel Macron favorable à l’arrêt des matchs

L’initiative de la LFP et de la LICRA intervient au terme d’une saison émaillée de plusieurs incidents. Le 3 juillet, un supporteur lensois a été condamné à 10 000 euros d’amende et cinq heures d’activités d’intérêt général par la commission de discipline de la LFP. Licencié de la Fédération française de football (FFF), cet entraîneur d’équipes de jeunes avait été « à l’origine d’un chant à caractère homophobe » dans la tribune Marek du stade Bollaert, lors d’un match de Ligue 2 entre les Sang et Or et Valenciennes, en avril. Il avait été identifié via une vidéo relayée sur les réseaux sociaux.

Le 12 avril, à Dijon, le capitaine amiénois Prince Desir Gouano a été victime de cris racistes, lors de la 32e journée de Ligue 1. L’arbitre a décidé d’arrêter la rencontre. Si le joueur ciblé n’a pas porté plainte, l’auteur présumé de ces insultes a été identifié, placé en garde à vue et mis en examen.

« Dès qu’un fait discriminatoire est consigné dans un rapport de match, la commission de discipline prend ses responsabilités et sanctionne, explique Mme Boy de la Tour. En cas de cris racistes ou insultes homophobes, l’arbitre a le pouvoir d’arrêter le match. C’est ce qui s’est passé la saison passée lors de Dijon-Amiens. La LFP et la LICRA se sont portées partie civile dans ce dossier. »

Le 7 juillet, interrogé par France Info, Emmanuel Macron s’est prononcé en faveur de l’arrêt des rencontres en cas d’incidents racistes ou homophobes, soutenant la position prise en avril par sa ministre des sports, Roxana Maracineanu.

« Il y aura un bilan chiffré »

« L’arbitre est dans son rôle, concentré sur son match, Il ne peut pas être partout et le délégué de match non plus. Ce signalement est donc complémentaire du travail des officiels. Cela nous permettra aussi d’être plus juste au niveau des sanctions », estime la présidente de la LFP.

Mme Boy de la Tour s’engage à publier le « nombre de signalement chaque saison. » « Il y aura un bilan chiffré. Il n’y a pas de tabou, il n’y a rien à cacher », promet-elle. La dirigeante, qui travaille sur ce plan de lutte contre la discrimination depuis un an, avait été critiquée après la publication de ses propos par Le Parisien, le 25 mars, au Sénat, lors des Trophées de la Licra Elle avait employé le mot « folklore » pour désigner les propos homophobes « inacceptables » d’une minorité de supporteurs.

« Je pense avoir donné des preuves de mon engagement sur ces sujets-là quand j’ai dirigé le Fondaction du football (fonds de dotation du football français créé par la FFF pour « promouvoir une vision citoyenne » de son sport). Le stade ne doit pas être une zone de non-droit », répond Mme Boy de la Tour, qui prend là l’une des décisions les plus marquantes de son mandat.

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