Supporteurs des Lions de la Teranga du Sénégal lors de la CAN 2017 au Gabon. / KHALED DESOUKI / AFP

Assis sur son lit d’hôtel, Mbar Dionne déballe les cartons d’eau et prépare le ravitaillement pour ses coéquipiers. Une orange et, surtout, deux bouteilles d’eau chacun, arme de survie pour affronter les 36 °C prévus au Stade du 30-Juin, au Caire. Pour les quarts de finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) qu’ils disputeront ce soir face au Bénin, les Lions de la Teranga pourront s’appuyer sur celui qu’ils appellent leur Douzième Gaïndé (lion, en wolof), qu’ils considèrent donc comme un joueur à part entière.

Unis comme les doigts de la main, ces supporteurs venus encourager le Sénégal entendent faire le maximum de bruit pour aider leur équipe à se qualifier pour les demi-finales. Mbar Dionne a de quoi se faire entendre avec son mégaphone, ses fanfares, djembés et autres percussions. Sans compter le répertoire, qu’il connaît par cœur. Des chants qui exhortent les joueurs à « donner le meilleur d’eux-mêmes et à remporter la victoire ». « Nous voulons être tout en haut des gradins, de manière à avoir de l’espace et être plus visibles », précise ce véritable chef d’orchestre, chargé de la chorégraphie au sein de la Fédération nationale des supporteurs du Sénégal (FNSS). Enflammer le stade et faire oublier le vide des gradins de cette CAN, tel sont les deux objectifs du Douzième Gaïndé. Une mission pour laquelle il sacrifie le spectacle du match puisqu’il tourne le dos au terrain pour « diriger » l’ambiance.

Né en 1992 lors de la CAN organisée au Sénégal, le Douzième Gaïndé réunit plusieurs comités de supporteurs avant de devenir, en 2012, la FNSS. « L’objectif initial était de constituer une force de mobilisation. Par la suite, c’est devenu un mouvement d’animation culturelle et aujourd’hui une force de sensibilisation », explique Issa Laye Diop, le président. Au fil des années, cette association qui soutient aujourd’hui toutes les disciplines sportives nationales a gagné en popularité et ses rangs se sont étoffés, avec plus de trois cents membres partis soutenir le Sénégal au Ghana pour la CAN 2008. Et si, à Dakar, le Douzième Gaïndé a reçu le titre de chevalier de l’ordre national du lion en 2017, lors du mondial de Russie 2018 il a été élu deuxième meilleur club de supporteurs au monde et premier en Afrique.

« Par amour de l’équipe uniquement »

La fédération est également une ambassadrice de la culture sénégalaise. « A la Coupe du monde en Russie, on exposait des tableaux sur lesquels étaient représentés nos symboles nationaux, raconte le chorégraphe Aliou Ngom. Le soir, on jouait de nos percussions place du Kremlin au milieu des passants. Cela attirait beaucoup de monde et certains faisaient même la queue pour nous prendre en photo. » Ces scènes de liesse, le Douzième Gaïndé a souhaité les revivre au Caire. Il a commencé par jouer en bas de son hôtel avant de se voir déplacé par la police pour des questions de sécurité.

« Un retard dans le versement de la subvention a contraint la fédération à réduire notre délégation. Les sept supporteurs qui portent d’habitude les lettres pour former le mot Sénégal n’arrivent que pour les quarts de finale, regrette Fatou Mbodj, qui dénonce un manque de considération. Les Sénégalais paient pour venir soutenir leur équipe contrairement à d’autres qui sont invités par leur fédération nationale. Pour cette compétition, les supporteurs ont en moyenne cotisé 200 000 francs CFA (305 euros) chacun. « On a fait des kilomètres pour arriver en Egypte par amour de l’équipe uniquement. A la fin du match contre le Kenya, seul Sadio Mané est venu nous saluer. Nous n’attendons rien, mais un merci ne serait pas de trop ! Le staff devrait demander aux joueurs de venir nous nous dire bonjour. Tout a changé depuis qu’Aliou Cissé est le coach », confie Idrissa Badji, nostalgique de la génération 2002, qui avait participé au Mondial en Corée et au Japon et avait même battu la France en match d’ouverture.

Mbar Mbodj déplore une génération de joueurs affairistes : « Au retour de Russie, on a attendu l’équipe pendant des heures à l’aéroport, trois seulement sont venus nous saluer. » « En 2008, El Hadj Diouf était rentré aux vestiaires en caleçon parce qu’il avait donné aux supporteurs tout ce qu’il avait sur lui, se souvient Boubacar Ba. Là, il n’y a pas de connexion entre les joueurs et les supporteurs, entre les joueurs et le peuple sénégalais. C’est la raison pour laquelle cette CAN suscite moins d’engouement. »

Supporteurs des Lions de la Teranga du Sénégal lors de la Coupe du monde 2018 en Russie. / FABRICE COFFRINI / AFP

Face à la frustration de ses membres, la fédération préfère relativiser. « On n’attend aucun retour des joueurs, lance le président Issa Laye Diop. Notre but est de soutenir l’équipe pour l’emmener à la victoire. » A l’heure de la mobilisation générale pour cette CAN, la fédération se veut unie. Le comité de supporters du club régional de Casamance, Allez Casa, qui porte d’habitude ses propres couleurs, a pour la première fois fusionné avec la fédération du Douzième Gaïndé.

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