L’avis du « Monde » – A ne pas manquer

Alors qu’elle traverse actuellement une crise de moyens comme de créativité, l’animation japonaise se montre toujours capable d’accoucher de véritables merveilles comme ces Enfants de la mer, fable graphiquement somptueuse et d’une belle sensibilité écologique, présentée lors du dernier Festival d’animation d’Annecy. Produit par le Studio 4°C, dévolu, depuis sa création, en 1986, aux projets singuliers, adapté du manga à succès de Daisuke Igarashi (5 tomes aux éditions Sarbacane), cette œuvre est la première d’envergure personnelle d’Ayumu Watanabe, né en 1966, jusqu’alors sans autre fait d’armes notable que ses deux longs-métrages réalisés pour la franchise Doraemon (personnage très populaire de chat-robot dont le filon est exploité depuis sa création, en 1969). Empruntant les voies balisées du récit initiatique, le film tresse une rêverie mystique et vagabonde sur l’unité du vivant, au rythme d’une bande-son composée par le grand Joe Hisaichi.

Au tout début de l’été, Ruka, une collégienne irascible, se retrouve exclue de l’équipe de handball pour avoir délibérément blessé une camarade. Livrée à elle-même, la jeune fille trouve refuge dans le grand aquarium où travaille son père, océanologue, et y fait la rencontre d’Umi, un garçon farceur faisant l’objet de recherches scientifiques pour avoir été élevé par des lamantins. Avec son frère Sora, autre enfant de la mer, Umi évolue dans l’eau comme dans son élément et entraîne Ruka sur la piste d’un phénomène inhabituel : une météorite récemment échouée au large du Pacifique provoque la migration en masse de la faune sous-marine. L’écoute du chant des baleines réveille chez Ruka souvenirs enfouis et impressions obscures. Son esprit et son corps entrent en résonance avec les phénomènes naturels, tandis qu’elle assiste à la métamorphose ichtyologique de ses deux amis.

Le film met en scène son foisonnement comme une grande fantasmagorie, un tourbillon de créatures dont la variété suscite sans cesse l’émerveillement

Pour dérouler le fil de son odyssée, Ayumu Watanabe s’appuie sur un parti pris plastique très équilibré, à savoir une remarquable intégration des techniques 2D et 3D, c’est-à-dire du dessin traditionnel et de la modélisation numérique. Le résultat est une véritable fête pour le regard : nous plongeant avec ses protagonistes au cœur de l’écosystème sous-marin, le film met en scène son foisonnement comme une grande fantasmagorie, un tourbillon de créatures dont la variété suscite sans cesse l’émerveillement.

La richesse graphique de l’objet ne s’arrête pas là, mais concerne également la gestuelle des personnages, la minutie des décors, le rendu méticuleux des mouvements de l’eau (la valse des bulles quand on y plonge) ou la palette lumineuse des ciels (magnifique scène de crépuscule sur le littoral). Ainsi la fibre écologique du film ne consiste-t-elle pas seulement en une sensibilisation à la biodiversité des fonds océaniques, mais engage plus largement toute une éthique du regard : faire attention à l’environnement, c’est d’abord l’observer avec une finesse qui s’attache jusqu’aux détails les plus infimes.

Psychédélisme et méditation poétique

Voguant sur la fine crête qui sépare le naturalisme (au sens d’une description précise de la nature) du merveilleux, Les Enfants de la mer glisse vers un onirisme croissant, progressant moins par péripéties qu’à travers de fines variations climatiques (feux follets, météorites, typhon, alternance des jours et des nuits). L’aventure de Ruka se situe ainsi à mi-chemin du quotidien et de l’imaginaire et peut se voir aussi bien sous un jour introspectif, comme la fuite en elle-même d’une jeune fille souffrant – on le découvre – de la séparation de ses parents.

Le film culmine quand, dans sa dernière partie, il investit la conscience heurtée de son héroïne et recourt alors à l’abstraction, voire au psychédélisme : l’animation, sublime, n’est plus alors que celle de pures formes en mouvement. C’est en s’élevant ainsi par-dessus l’intrigue que le film touche au cœur de son propos : une méditation poétique sur les rapports analogiques entre l’être et les éléments, la mer et le ciel, l’infiniment grand et l’infiniment petit. Ruka prend alors conscience de l’essentiel : tout être vivant est dépositaire d’une part du cosmos, qui relie le plus infime de ses atomes aux plus hautes sphères du firmament.

Les Enfants de la Mer - Bande-annonce - Au cinéma le 10 juillet
Durée : 01:00

Film d’animation d’Ayumu Watanabe (1 h 51).
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