Baroudeur est un métier du passé : malgré le parcours vallonné, jamais les quatre échappés du jour n’ont cru à la victoire dans les coteaux des vins d’Alsace, et Peter Sagan règle facilement au sprint le demi-peloton à Colmar. Alaphilippe, jamais en difficulté, est toujours maillot jaune.

Peter Sagan quand il débarque devant un buffet de bonbons. / Christophe Ena / AP

L’hiver avait donné à ses adversaires l’embryon d’un espoir. Le printemps l’avait fait croître. L’été l’écrase. Peter Sagan n’en a pas vraiment fini avec le cyclisme, pas autant, en tout cas, qu’on l’avait supputé il y a quelques mois. Depuis le départ de Bruxelles, il semblait redevenu le Peter Sagan que l’on a toujours connu sur le Tour, et il l’a confirmé à Colmar.

Dans un dernier col monté à très haute vitesse, sous l’impulsion des équipiers de Michael Matthews chez Sunweb, le maillot vert de la Bora-Hansgrohe n’est jamais apparu à l’arrière du peloton. Et dans la ligne droite d’arrivée, il croqua Matteo Trentin comme un de ces bonbons dont il se gave, au mépris de toutes les règles de nutrition.

C’est un autre Sagan, à l’évidence, que celui qui buta en mars sur la sixième heure des classiques, celle où les champions se détachent. Après des échecs sur le Tour des Flandres et Milan-San Remo, on l’avait vu rendre les armes sans combattre dans l’Amstel Gold Race, déclarer forfait pour Liège-Bastogne-Liège.

« Au début de saison, j’étais parfois malade. Ça a fait beaucoup de dégâts, la diarrhée et tout. Mon corps en a souffert, a expliqué le Slovaque en conférence de presse. Mon corps n’a pas récupéré des premières classiques. J’ai ensuite pris une période de repos, et ça va mieux. »

Certains ont vu dans l’attitude générale de Peter Sagan, pendant les classiques belges, la marque d’un spleen profond, peut-être lié à son divorce annoncé il y a un an au milieu du Tour de France. « Tout ce que j’ai programmé s’est mal passé, s’épanchait-il dans les colonnes de Vélo Magazine en octobre dernier. Tout ce que je voulais dans la vie s’est mal passé. »

Au même moment, il avait laissé transparaître dans le magazine néerlandais Fiets une franche lassitude de son métier, du « manque de respect dans le peloton », des voyages incessants. Il se voyait bien, à la fin de son contrat chez Bora-Hansgrohe, en 2021 - il aura 31 ans -, retourner au VTT, où tout est plus tranquille.

Ceci n’est pas un masque de cyclisme (sur route). / Thibault Camus / AP

Sa fortune est faite et ce qui accompagne la pratique du vélo semble l’agacer chaque année davantage. Il ne s’en cache plus du tout sur ce Tour de France où ses réponses à la presse relèvent soit de la pirouette, ponctuée invariablement d’un sonore « Haha ! », soit du mépris – mais toujours avec le sourire.

Sagan fait de moins en moins d’efforts de représentation, même s’il continue de donner des pichenettes à ses collègues, de gâter ses sponsors, de vendre sa coolitude sur les réseaux sociaux ou d’affecter de se foutre de ses résultats. Après avoir cédé le maillot de champion du monde qui le ceinturait depuis trois ans, a-t-il transmis à Julian Alaphilippe l’épuisante responsabilité de tête de gondole du cyclisme ?

En regard de Sagan, la rock’n roll attitude du Français semble plus authentique. Même si le danseur de la Deceuninck-Quick Step, à Colmar, semble déjà las des sollicitations liées à sa nouvelle tunique.

Le Tour du comptoir : Saint-Dié-des-Vosges

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Où l’on découvre que La Vosgienne ne l’est pas.

Ville-étape pour la première fois de son existence, Saint-Dié, avec ses Déodatiens, fait une entrée fracassante au sommet du classement des gentilés réjouissants de ce début de Tour – ex aequo avec les Sparnaciens d’Epernay.

Un peu à l’écart des festivités, café matinal au Dauphin, dont on aimerait savoir pourquoi il s’appelle Le Dauphin. « Peut-être que ça a un rapport avec la Renault Dauphine ? » imagine Eric, un client. « Parce qu’on est rue Dauphine ? », suppose Claudine, la gérante, qui semble plus proche de la vérité.

Première participation au Tour, donc, pour la ville natale de Jules Ferry, vedette locale qui possède ici sa place – où trône l’étonnante tour de la Liberté –, sa statue (jolie), et son collège-lycée (moche).

Autre superstar à laquelle les Déodatiens (quel gentilé génial) font souvent référence : Amerigo Vespucci. C’est dans la cité déodatienne (mais quel régal) que des géographes donnèrent le nom « America » à l’Amérique, hommage au premier Européen ayant saisi qu’il s’agissait d’un nouveau continent. Une carte de l’Amérique orne le sol de la place de la cathédrale, et le Festival international de géographie vient tous les ans animer l’automne déodatien (on ne s’en lasse pas).

L’Amérique  au pied de la cathédrale.

« Je peux vous dire qu’il y a plus de clients ici pendant le festival de géographie que pendant le Tour, se désole Claudine, devant l’affluence réduite. Tout le monde est là-bas, devant Cochonou et compagnie ! » Elle poursuit, à voix basse : « Une amie m’avait dit qu’à chaque étape, soit la ville de départ, soit la ville d’arrivée, il y en a une des deux où ça ne marche pas. J’ai l’impression qu’on l’a dans l’os. » Pendant ce temps, l’enquête sur le nom du café patine : « On a dû trouver un dauphin dans la Meurthe », suggère un client en terrasse.

Arrive Laurence, la femme du patron : « Mon père aussi avait un café. A 7 ans, je passais derrière le bar et je servais des Ricard. - Elle les gardait pour elle, oui ! » Claudine est taquine. Grâce à Laurence, après un coup de fil à son mari, puis à son beau-frère, puis à la femme de son beau-frère, on comprend enfin que Le Dauphin s’appelle ainsi en référence au dauphin Louis XV, fils de Marie Leszczyńska (elle-même fille de Stanislas Leszczyński, roi de Pologne et duc de Lorraine, le Stanislas de la place Stanislas à Nancy), qui possède une fontaine à son effigie au bout de la rue Dauphine. Voilà, on peut enfin passer à autre chose.

Claudine, la tenancière, à droite, devant son compagnon Claude et son fils Cédric.

Laurence, qui travaille à la Confiserie des Hautes-Vosges, raconte qu’à l’occasion du Tour, elle a distribué quelques milliers de ces bonbons à la sève de pin qu’on ne trouve sur les marchés, foires, et autres salons, mais pas en magasin, « parce qu’on travaille déjà à flux tendu pour approvisionner nos clients et qu’on veut rester artisanal, nous. »

« Nous », c’est-à-dire pas comme la célèbre marque concurrente que nous ne citerons pas, mais qui commence par « La » et finit par « Vosgienne », et dont on apprend avec stupeur que les bonbons ne sont pas fabriqués dans les Vosges, mais un peu plus au sud-ouest, en Espagne. « Regardez les boîtes dans les supermarchés, vous verrez : “Made in Spain”. Ils font leurs bonbons avec de la sève de pin à 20 euros le kilo. On fait les nôtres avec de l’huile essentielle de bourgeon de sapin à 360 euros le kilo. »

« Et puis on utilise de la pectine de pomme au lieu de gélifiant animal. En ce moment, les gens reviennent à des choses saines, c’est tendance. » D’accord. Mais qu’est-ce que ce sachet qu’on aperçoit dans son sac ? « Ah ! ça ?, sourit Laurence, comme si on l’avait prise la main dans le pot de confiture. Je suis allé voir passer la caravane du Tour, j’ai attrapé des bonbons Haribo pour mon petit-fils. »

La jolie statue.

Le moche lycée.