Au sommet d’une « Super Planche-des-Belles Filles » qui a tenu ses promesses, Thibaut Pinot a consolidé son droit à rêver d’un podium, Romain Bardet a (déjà) enterré ses dernières illusions, et la guéguerre à coup de secondes s’est poursuivie au sein de l’équipe Ineos : Geraint Thomas en a pris neuf à Egan Bernal. Prochaines escarmouches sérieuses la semaine prochaine, dans les Pyrénées. D’ici là, soyez sûrs qu’on réentendra parler de Julian Alaphilippe, qui perd son maillot jaune pour six secondes.

Apparemment, l’ascension finale était un peu exigeante. / CHRISTIAN HARTMANN / REUTERS

On savait qu’on pouvait compter sur elle : la Planche-des-Belles-Filles a offert au Tour de France 2019 ses plus grands frissons et beaucoup ont dû bondir de leur canapé pour passer le dernier kilomètre de la 6e étape à vociférer debout devant leur télévision.

Les coureurs, eux, l’ont traversé couchés sur leurs vélos, cassés en deux, des angles droits sur roues, franchissant la ligne d’arrivée moins vite qu’ils ne l’auraient fait à pied, éreintés et contraints d’être poussés par des bonnes âmes ou de s’affaler contre les barrières immédiatement après pour ne pas tomber de leur machine à l’arrêt.

La station de Haute-Saône avait déjà connu trois arrivées d’étapes, en 2012 (victoire de Froome), 2014 (Nibali) et 2017 (Aru), toutes spectaculaires. La quatrième édition de ce qui ressemble déjà à un classique du Tour avait gagné cette année un kilomètre final d’ascension supplémentaire, décomposé en 800 premiers mètres dépourvus d’asphalte, et 200 derniers mètres pourvus d’un effrayant pourcentage à 24 %. La Planche-des-Belles-Filles promettait beaucoup. La Planche-des-Belles-Filles ne déçoit jamais.

Julian Alaphilippe ne sera pas forcément d’accord. Dans ce final extrême, façon Strade Bianche, merveilleuse course à travers les chemins caillouteux de Toscane qu’il a remportée en mars, le Français a eu beau martyriser ses pédales et décrocher le groupe des favoris qu’il avait réussi à suivre toute la journée, il n’est pas parvenu à sauver son maillot jaune acquis trois jours plus tôt.

Après 160 kilomètres et quatre heures et demie d’effort, il est arrivé six secondes trop tard pour l’empêcher d’atterrir sur les épaules de l’Italien Giulio Ciccone, meilleur grimpeur du Giro le mois dernier et qui a su prendre les bonifications en route.

En route pour la chasse aux bonifications

La Deceuninck-Quick Step peut nourrir des regrets, et Julian Alaphilippe l’aura sans doute fait savoir : pourquoi avoir laissé huit minutes d’avance à la quinzaine d’échappés partis dès le départ, parmi lesquels se trouvaient le vainqueur de l’étape, le Belge Dylan Teuns, et le nouveau maillot jaune, second au sommet et qui transforme déjà son premier Tour de France en triomphe ?

Cela dit, sans faire offense à Giulio Ciccone, pour la première fois de sa jeune histoire, la Planche-des-Belles-Filles ne désignera pas le vainqueur du Tour, elle qui avait systématiquement vu se parer de jaune le coureur qui le portait encore à Paris (Wiggins en 2012, Nibali en 2014, Froome en 2017). Il sera même difficile à Ciccione de conserver sa tunique jusqu’aux Pyrénées, dans une semaine.

Car Julian Alaphilippe va vite passer de la déception du jour à l’espoir des lendemains. Six secondes de retard, ce n’est rien : c’est la bonification accordée chaque jour au 2e de l’étape. Autant dire que vous allez revoir le n° 1 mondial à l’avant, probablement dès samedi, sur la route de Saint-Etienne, ou dimanche, sur celle de Brioude, lors de deux étapes accidentées qui lui vont bien. Elles offrent en outre huit secondes de bonification à qui franchira la dernière côte en tête.

La longue diagonale du nord-est au sud-ouest de la France risquait d’être fastidieuse. Ce risque est écarté. Merci la Planche des Belles Filles.

« Monsieur, il est interdit de s’endormir contre les barrières du Tour ! » / Thibault Camus / AP

Le Tour du comptoir : Mulhouse

Après chaque étape, Le Monde vous envoie une carte postale depuis le comptoir d’un établissement de la ville de départ.

Où l’on n’a pas brûlé les mauvaises herbes.

A Dornach, quartier populaire de Mulhouse, on se prépare au grand événement sportif de la semaine, ce jeudi : la demi-finale de la Coupe d’Afrique des Nations entre l’Algérie et la Côte d’Ivoire. A côté, le départ de l’étape du Tour de France est une aimable plaisanterie.

« Alors là, ça va être un beau bordel, anticipe Dali. La dernière fois, les flics les ont gazés pour faire partir tout le monde. » « C’est toujours moins pire que les mariages, qui bloquent la circulation », certifie Christian. Fred coupe : « Arrête, on va encore dire que les Alsaciens sont racistes. »

Le Tour de France passe à 150 mètres mais Dali n’en verra rien. Son troquet, le S’Bierecka (le coin de la bière, en alsacien) fait un angle dans ce quartier populaire, entre modestes pavillons et immeubles défraîchis. Il doit être chaleureux, ce comptoir, puisque les habitués s’arrêtent malgré les gouttes, et qu’on agrandit le cercle autour de la table où l’on pose les demis.

« Bizarrement, le Tour a évité la ZUP, constate Dali. Ça fait des semaines qu’ils brûlent les mauvaises herbes sur les trottoirs là-bas, ils nettoient tout, ils tondent les pelouses tous les jours. Nous, on n’arrête pas de les interpeller pour qu’ils refassent une propreté au quartier, mais rien du tout. »

Le Tour choisit sa France et Mulhouse est apparue sous son meilleur jour à la télé. Fred comprend : « C’est une carte postale, ils n’allaient pas montrer les mauvais quartiers quand même. » Il en vient, ce qu’il appelle « les bas quartiers ». Il se souvient de la tête des Suisses romands le jour où il a rangé sa veste dans le coffre de la voiture, parce que « de là où je viens, s’il y a une veste qui traîne, la bagnole est pétée le lendemain ».

Fred poursuit : « La Suisse, c’est le monde merveilleux de Heidi, les maisons et les voitures restent ouvertes. » Il est resté 15 ans près de Fribourg, a fait l’infirmier. Expérience mitigée quand même : « Superbe région, mais j’aime pas les Suisses. Ils sont un peu racistes. »