Ursula von der Leyen, le 3 juillet à Strasbourg. / Vincent Kessler / REUTERS

A Berlin, ils siègent à ses côtés à la table du conseil des ministres. A Bruxelles, ils semblent prêts à tout pour l’empêcher de devenir présidente de la Commission européenne. En prévision du vote au Parlement européen sur la candidature d’Ursula von der Leyen, fixé au mardi 16, les eurodéputés du Parti social-démocrate allemand (SPD) ont rédigé un argumentaire au vitriol listant les raisons pour lesquelles la ministre de la défense d’Angela Merkel ne mérite pas, selon eux, de succéder à Jean-Claude Juncker. Au risque de fragiliser un peu plus la « grande coalition » de la chancelière allemande, au sein de laquelle le SPD cohabite avec les conservateurs de l’Union chrétienne-démocrate et l’Union chrétienne-sociale (CDU-CSU).

« Pourquoi Ursula von der Leyen est une candidate inadéquate et inappropriée » : tel est le titre de ce document de deux pages, en anglais, que le chef des députés SPD au Parlement européen, Jens Geier, a diffusé, mercredi 10 juillet, auprès de ses collègues de l’Alliance progressiste des socialistes et démocrates. Au sein de ce groupe, qui comprend 154 élus, les sociaux-démocrates allemands sont au nombre de 16. Ils y constituent la troisième délégation nationale par ordre d’importance, après les Espagnols (20) et les Italiens (19).

« Une gifle au Parlement européen »

Qu’est-il reproché à Mme von der Leyen ? D’abord, le fait que sa candidature « porte atteinte à la démocratie en Europe ». En ne choisissant pas le futur président de la Commission parmi les têtes de liste (Spitzenkandidaten) aux européennes du mois de mai, les chefs d’Etat et de gouvernement européens ont « flanqué une gifle au Parlement européen », estiment les eurodéputés SPD. « Certes, le système du Spitzenkandidat ne date que de 2014 et mérite d’être critiqué, mais il est beaucoup plus transparent que les procédures opaques en vigueur auparavant », ajoutent-ils. Le SPD auraient préféré soutenir le travailliste néerlandais Frans Timmermans, chef de file des sociaux-démocrates proposé un temps par Berlin et Paris, mais bloqué par de nombreux dirigeants conservateurs et/ou d’Europe centrale.

La suite de l’argumentaire vise la personne même de Mme von der Leyen, et en particulier son bilan au ministère de la défense, où elle a été nommée en 2013. Est ici d’abord mentionnée « l’affaire des consultants », qui agite les médias allemands depuis plusieurs mois. « Le Bundestag est en train de procéder à des auditions après que le cabinet de von der Leyen a été accusé de violer les règles d’attributions des emplois publics en proposant des contrats très lucratifs à des consultants externes », rappelle le document, qui pointe également le « manque de soutien » de la ministre de la part de la Bundeswehr.

D’autres éléments plaidant contre la désignation de Mme von der Leyen sont enfin mentionnés. Parmi eux figurent notamment les accusations de plagiat ayant visé la ministre concernant sa thèse de doctorat, sa faible cote de popularité dans les sondages, ou encore le fait qu’elle soit « la candidate voulue par [le premier ministre hongrois] Viktor Orban ».

Merkel joue l’apaisement

Jeudi 11 juillet, la révélation par plusieurs médias allemands de ce document, destiné à rester confidentiel, a clairement mis dans l’embarras la direction du SPD. Ou plutôt sa direction provisoire, le parti ayant à sa tête trois « présidents intérimaires » depuis la démission surprise de sa chef, Andrea Nahles, après la débâcle des sociaux-démocrates allemands aux élections européennes du 26 mai (15,8 % des voix, le pire score de leur histoire). « Les trois présidents intérimaires ne donnent pas des consignes disant comment il faut se comporter. Ils n’ont pas commandé cet argumentaire et n’ont pas l’intention d’en commander d’autres du même type », a ainsi assuré l’un d’eux, Thorsten Schäfer-Gümbel, interrogé, jeudi, par la Frankfurter Allgemeine Zeitung.

Alors que plusieurs élus de la CDU sont montés à la charge pour fustiger vertement l’attitude du SPD, expliquant que le torpillage de la candidature de Mme von der Leyen était une atteinte aux « intérêts de l’Allemagne », Mme Merkel a, de son côté, préféré jouer l’apaisement.

« Cette situation au sein de la coalition n’est évidemment pas simple. Il est important, et sur ce point je suis d’accord avec la direction du SPD, que l’on se comporte convenablement avec Ursula von der Leyen en tant que personne. De ce point de vue, je ne rangerai pas ce qui s’est passé hier à Bruxelles dans cette catégorie », a commenté la chancelière allemande, jeudi, lors d’un point presse aux côtés de la nouvelle première ministre danoise, Mette Frederiksen. Laquelle en a profité pour se démarquer des eurodéputés SPD, affirmant qu’« en tant que social-démocrate, [elle] apport[ait] son soutien à Ursula von der Leyen pour la présidence de la Commission européenne. »

Recherche de soutiens parmi les sociaux-démocrates

La réaction modérée de Mme Merkel s’explique aisément. Afin d’assurer la survie de sa coalition, la chancelière a tout intérêt à jouer des divisions qui traversent le SPD et à ménager la direction provisoire du parti, qui a décidé de ne pas faire de la nomination de von der Leyen un motif de rupture du contrat de coalition. En réagissant ainsi, Mme Merkel s’en tient à la ligne qu’elle a adoptée depuis le début de l’affaire : lundi 1er juillet, à Bruxelles, c’est déjà dans ce même souci d’apaisement qu’elle n’avait pas pris part au vote sur le nom de Mme von der Leyen. L’Allemagne était ainsi le seul des vingt-huit Etats membres de l’Union européenne à s’abstenir sur le choix du futur président de la Commission…

Reste que la situation est très inconfortable, à la fois pour le SPD et pour Mme Merkel. Afin d’obtenir les 376 voix nécessaires à la validation de sa candidature, Mme von der Leyen sait en effet que le soutien du PPE (auquel est affilié son parti, la CDU) et des libéraux-centristes de Renew Europe ne suffira pas. Or, les Verts ayant annoncé mercredi leur intention de voter contre sa nomination, la ministre allemande de la défense doit pouvoir compter sur le soutien d’une partie des sociaux-démocrates (environ 90 voix) pour obtenir une majorité. Certains, comme les Espagnols et les Scandinaves, sont d’ores et déjà favorables à sa nomination.

En Allemagne, l’issue de ce scénario pourrait avoir des conséquences considérables. Car en cas d’insuccès, la question se posera nécessairement : s’il s’avère que le SPD a contribué à l’échec d’une des ministres les plus proches de Mme Merkel, les sociaux-démocrates pourront-ils continuer à faire partie de la « grande coalition » au pouvoir à Berlin ?