Alaphilippe est imprenable sur ce genre de pente. / Thibault Camus / AP

10E ETAPE : SAINT-FLOUR - ALBI, 217,5 KILOMETRES.

Pour aller en quatre jours du pays du munster à celui du roquefort, il n’y a pas le choix, il faut rouler long et fort. Les coureurs du Tour s’y attellent ce lundi 15 juillet pour une étape plus compliquée qu’elle n’en a l’air, mais que certains sprinteurs encore fanny, comme Michael Matthews ou Caleb Ewan, voudront voir s’achever sur un lâché de pur-sangs dans la ville rouge. A moins que le peloton, désireux de respecter la tradition du jour de repos du lundi, ne laisse comme hier partir une large échappée. A ce sujet, saluons la cohérence des organisateurs : un jour de repos le mardi étant une hérésie, nous le passerons à Albi.

Une chose semble à peu près sûre : Julian Alaphilippe, sauf chute grave ou virus gastrique foudroyant, passera son séjour chez Toulouse-Lautrec en jaune. Ce que l’on ne sait pas, c’est s’il s’arrêtera à sept jours en jaune, déposant les armes dans l’étape de Bagnères-de-Bigorre qui passe par le col de la Hourquette-d’Ancizan, ou s’il poussera le vice jusqu’au contre-la-montre, voire au-delà du Tourmalet. En somme, s’il sera Charly Mottet (sept jours en 1987) ou Thomas Voeckler (dix en 2004 et 2011).

Jurisprudence Voeckler

La logique voudrait que Julian Alaphilippe s’efface gentiment dans l’une ou l’autre étape pyrénéenne et repasse en mode 2018 lorsque, conseillé par un expert, Richard Virenque, il avait chassé les étapes et les pois avec succès – deux victoires et le maillot à Paris. Mais il y a deux « mais ».

  • S’efface-t-on gentiment quand on porte le maillot jaune, le dossard de numéro un mondial et les espoirs d’un pays amoureux ?
  • Pour certains coureurs, la logique semble disparaître avec le port du maillot jaune. En 2011, Thomas Voeckler explosa tous ses records de puissance en carrière à l’âge de 33 ans pour atteindre la quatrième place du classement à Paris. Lorsqu’il avait endossé la sainte tunique, à l’issue d’une échappée en moyenne montagne, personne, lui le premier, n’envisageait qu’il puisse franchir les Pyrénées avec son petit pécule (2 minutes 26 secondes). Il l’avait pourtant gardé jusqu’à la dernière étape de montagne. Oscar Pereiro, en 2006, s’était lui aussi sublimé – si l’on veut bien accepter que la sublimation ait quoi que ce soit à voir avec ce gain subit de puissance.

Est-on à l’abri d’un scénario similaire, bien que l’avance d’Alaphilippe soit inférieure ?

« On peut rêver un peu en pensant que je peux le garder le plus loin possible, répond l’empanaché de Montluçon (Allier). C’est ce que je vais faire, repousser mes limites, me tester, continuer de courir pour le maillot jaune jour après jour, faire de belles étapes de montagne, faire un gros contre-la-montre. Le jour où je sens que je dépasse mes limites et que ça ne va plus, j’essaye de récupérer, je lève le pied et je fais comme l’an dernier, en me faisant plaisir dans les échappées. Car je sais que je ne vais pas gagner le Tour de France. »

« J’ai fait beaucoup d’efforts »

Le Tourmalet, dit-il, lui fait peur en raison de l’altitude, au-dessus des 2000 mètres. Le contre-la-montre le rassure, certain qu’il fera « mieux que limiter la casse » sur ce parcours. Alaphilippe dit encore, sur ce sujet qui l’inspire : « Je ne suis pas rêveur. Mes ambitions pour le classement n’existaient pas avant d’arriver sur le Tour, elles ne sont pas tombées du ciel parce que j’ai le maillot jaune. (…) Je pense avoir fait beaucoup plus d’efforts dans la première semaine que les leaders du classement général. Quand on le vise, il faut courir au millimètre et compter ses coups de pédale. Ce n’est pas du tout ce que j’ai fait jusqu’à maintenant. »

Il conclut : « En altitude, il n’y aura pas de surprise. » On comprend Alaphilippe : mieux vaut rouler masqué. Surtout lorsqu’on avance soi-même à tâtons.

Dans le peloton, on balance entre méfiance et circonspection.

Les circonspects traînent autour du car d’Ineos. Nicolas Portal, directeur sportif, plus poli que vraiment convaincu des chances de son compatriote de dérégler l’horlogerie britannique : « Cela a dû lui coûter beaucoup d’énergie. Mais on fait attention quand même. Il a l’air de récupérer très bien. »

« Il peut le garder jusque dans les Alpes »

Xabier Artetxe, l’entraîneur basque de l’ancienne Team Sky : « Alaphilippe peut être très fort sur des efforts de six à douze minutes, voire vingt minutes comme à La Planche des Belles Filles. Il s’améliore dans les longs cols, il a fait des progrès. Mais entre ça et un effort de 40 minutes, à répéter deux ou trois fois dans la journée, c’est une toute autre histoire. Cela m’étonnerait qu’on le voit capable de rester avec les meilleurs grimpeurs. En revanche, je ne dis pas qu’il ne peut pas le faire plus tard, s’il se prépare en conséquence. »

Chez Deceuninck-Quick Step, ça ne respire pas non plus l’enthousiasme : « Je pense que ce sera très difficile pour lui, dit son coéquipier Yves Lampaert. Quand il verra que ce n’est pas possible, il lâchera et visera les victoires d’étape. »

Romain Bardet et Thibaut Pinot, qui ont un peu côtoyé le bonhomme aux championnats du monde d’Innsbrück (Autriche), sont dans la file des méfiants. Ils savent son talent et sa capacité à refuser les limites que lui impose son organisme. « Il n’en finit pas d’étonner et de s’étonner lui-même », lâche Romain Bardet. Pour Thibaut Pinot : « Il se décharge de la pression mais je le sens en forme et il sait qu’il a déjà réussi de beaux numéros en montagne. Il peut le garder jusque dans les Alpes. »

Si c’est le cas, Alaphilippe aura eu une semaine pour laisser monter en lui l’idée qu’il peut grimper sur le podium à Paris. Pour le décramponner, il faudra y aller au piolet.

Départ à 12 h 25, arrivée vers 17 h 45

PS. On ne sait pas si Sonny Colbrelli s’imposera à Albi – ce n’est pas impossible –, mais en ce qui nous concerne, il a déjà réussi son Tour avec cette monumentale claque sur le postérieur d’un spectateur qui le montrait au peloton. Qui le montrait de tellement près, d’ailleurs, qu’il aurait pu facilement provoquer une chute. Et en même temps, c’est très drôle. Et en même temps, c’est très con.

PPS. Si vous voulez savoir à quoi ressemble une victoire dans le Tour de France, regardez Daryl Impey et son directeur sportif à la nuque longue, Matt White, tétanisé dans sa voiture.

PPPS. Si vous voulez savoir à quoi ressemble un maillot jaune de 1949, 70 ans plus tard, regardez celui de Jacques Marinelli, dit « La Perruche ».