Un drone de l’entreprise Zipline le 23 avril 2019 à Accra, au Ghana, sur la rampe de lancement. / RUTH MCDOWALL / AFP

Sulley Jacob a les yeux rivés au ciel. « Le colis sera livré dans cinq minutes », indique le téléphone portable de ce scientifique de l’hôpital d’Asamankese, une ville située à 70 km de la capitale ghanéenne. Quelques instants plus tard, un léger sifflement se fait entendre. Un drone apparaît. Après avoir réalisé trois tours pour réduire sa vitesse et son altitude, l’engin ouvre sa soute et largue un colis à une quinzaine de mètres de hauteur. Suspendu à un petit parachute, le paquet se pose à proximité de la pharmacie de l’hôpital. A l’intérieur se trouvent des poches de sang commandées une demi-heure plus tôt à la société Zipline.

L’entreprise californienne, spécialisée dans la livraison de sang et de médicaments par drones, a officialisé à la fin du mois d’avril son implantation au Ghana. Le pays d’Afrique de l’Ouest suit l’exemple du Rwanda, où les autorités ont lancé un partenariat avec Zipline en octobre 2016. Depuis, plus de 10 000 livraisons ont été effectuées. « L’utilisation de drones pour la livraison de matériels médicaux est une opportunité énorme pour connecter des communautés qui n’ont pas accès à certains services médicaux », avance Timothy Reuter, chargé du programme des drones au Forum économique mondial. Une chance en particulier pour les zones rurales où, dans de nombreux pays du continent, « les infrastructures sont bien moins développées que dans les centres urbains », rappelle M. Reuter.

Propulsion à 100 km/h

Au Ghana, Zipline a ouvert son premier centre à Omenako, une commune rurale entourée de collines, située entre Accra et Kumasi, la deuxième ville du pays. Huit personnes y travaillent actuellement : des ingénieurs, chargés de l’entretien des drones, et des scientifiques, qui s’occupent de la gestion du matériel médical. Dans une pièce maintenue en permanence en dessous de 23 °C, les médicaments sont rangés sur de vastes étagères. Il s’agit principalement de vaccins contre le paludisme, de traitements contre les morsures de serpent ou encore d’insuline. Les poches de sang sont conservées dans des réfrigérateurs.

« Lorsqu’un médecin ou un pharmacien habilité a une demande urgente, il peut nous passer commande par un appel, par texto, par WhatsApp ou encore par mail », détaille Samuel Akuffo, le coordinateur scientifique. « Package delivered at New Tafo facility », grésille un Talkie-Walkie à proximité. « Un colis a bien été livré à l’hôpital de New Tafo », traduit-t-il.

« Il nous faut généralement quatre à sept minutes pour envoyer un drone », explique l’ingénieur Sadat Anum. Les poches de sang enveloppées dans de la glace ou les vaccins sont installés dans la soute. Puis l’engin d’une vingtaine de kilos est placé sur une rampe de lancement. Après le feu vert de l’aviation civile, le drone est propulsé dans les airs et se dirige vers le lieu de largage à une vitesse d’environ 100 km/h, et à une altitude de 120 m.

« Pour l’instant, nous n’avons eu aucun accident », s’enorgueillit l’ingénieur. L’équipe peut suivre sur des tablettes la progression des drones. Ceux-là mettent moins d’une heure pour atteindre leur destination dans les régions de la Volta, de l’Est, du Centre et de l’Ouest. L’entreprise ambitionne de pouvoir approvisionner jusqu’à 500 centres de santé à partir du centre d’Omenako. Un mois après son lancement, huit hôpitaux et polycliniques sont couverts.

Une demi-heure pour faire 60 km

Retour à l’hôpital d’Asamankese. Depuis un mois, ce centre de soin a fait appel à cinq reprises à Zipline pour livrer des colis. « Au mois de février, un accident impliquant plusieurs voitures a fait près de 71 blessés. Nous nous sommes retrouvés d’un coup avec de nombreux patients et nous avons rapidement manqué de morphine, se souvient le médecin chef, Stephen Ayrakwa. Zipline peut nous être utile dans ce genre de scénario, mais cela ne doit pas remplacer nos canaux traditionnels de livraison. Il s’agit plutôt d’un complément en cas d’imprévu. » Nii Oboudai, pharmacien en chef de l’hôpital, abonde. « Nous avons passé commande de plusieurs vaccins contre les morsures de serpents et de l’insuline. En trente minutes, nous avons été livrés. Si nous étions passés par l’hôpital de Koforidua, situé à environ 60 km, nous aurions dû attendre au moins six heures », décrit-il. Les frais sont couverts par le gouvernement ghanéen, qui subventionne Zipline en fonction du nombre de livraisons réalisées chaque mois.

Mais le déploiement de cette technologie grâce aux deniers publics a également ses contempteurs. La Ghana Medical Association, une fédération réunissant de nombreux médecins, a appelé en décembre 2018 le gouvernement à suspendre ces investissements, arguant dans un communiqué que « l’utilisation de drones sans des embauches de personnel de santé ne permettra pas au pays d’améliorer son système de soins ». Selon des chiffres diffusés par la BBC en 2018, le Ghana, un pays de 29 millions d’habitants, est doté de… 55 ambulances seulement. « Les drones ne peuvent pas se substituer à d’autres investissements dans le domaine de la santé », estime aussi Timothy Reuter. Malgré ces critiques, Zipline souhaite ouvrir prochainement trois autres centres dans le pays.

Sommaire de notre série « Carnet de santé »

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