Scène de liesse à Alger le 14 juillet 2019, après la victoire des Fennecs face aux Super Eagles du Nigeria en demi-finale de la CAN. / RYAD KRAMDI / AFP

Le Caire déborde de supporteurs algériens. Ils sont partout. A siroter un jus de mangue près du Nil, à tourner en rond place Tahrir, à fumer une chicha dans un café ou à faire des emplettes à Khan Al-Khalili, le vieux bazar de la capitale, où les commerçants ne peuvent s’empêcher de leur lancer un complice « One, two, three, viva l’Algérie ».

Après l’élimination précoce de leur équipe nationale en huitièmes de finale, les Egyptiens sont nombreux à avoir choisi d’encourager les Fennecs. « Nous sommes des Arabes, nous sommes des frères », assure même un vendeur de souvenirs du souk. « C’est la meilleure équipe. C’est un très beau football », souligne un autre commerçant.

Oublié donc ce fameux duel du 18 novembre 2009, au Soudan, où les Pharaons ont affronté les Fennecs lors de la qualification pour la Coupe du monde 2010. Quelques jours plus tôt, au Caire, lors du round précédent, des supporteurs égyptiens avaient violemment agressé des joueurs algériens, déclenchant des manifestations à Alger et en France. Dans les tribunes du stade d’Omdurman, la ville jumelle de Khartoum sur la rive occidentale du Nil, quelque 10 000 Algériens, prêts à en découdre, criaient vengeance.

Nahla, 33 ans, avocate algérienne qui vit au Caire, s’entraîne deux fois par semaine avec ses amies dans un club de foot et a été surprise de voir des Egyptiens soutenir la sélection de son pays. Selon elle, les « vrais » supporteurs ne soutiennent pas les Fennecs. « Ceux qui le font sont considérés comme des supporteurs occasionnels. C’est qu’ils ont oublié le passé. La rivalité existe toujours entre les deux pays », assure-t-elle.

« Un engouement un peu fanatique pour l’Algérie »

Quoi qu’il en soit, un sentiment de fraternité souffle en Afrique du Nord lors de cette Coupe d’Afrique des nations (CAN). Et deux autres pays sont à fond derrière l’Algérie : la Tunisie et le Maroc (éliminé en huitièmes). « C’est Maghreb United !, se réjouit Sofiane 28 ans, étudiant à Alger venu assister à l’entraînement des Fennecs au Petro Sport Stadium du Caire, le 16 juillet. C’est trop beau. Ça donne de la force. Marocains, Tunisiens, Algériens, tous ensemble. Oh la la ! Si on gagne, ça va être chaud sur les Champs-Elysées chez vous. Ça sera la bouillabaisse maghrébine. »

En Tunisie, où les supporteurs ont du mal à cacher leur tristesse d’avoir vu les Aigles perdre la petite finale, le repli s’organise sur leur voisin. « Je préfère regarder un Algérie-Sénégal qu’un Algérie-Tunisie, car nous sommes trop proches historiquement et cela aurait été très tendu », lance même Salim Taleb, 35 ans, un habitant de Djerba qui ira voir l’ultime match de la CAN dans un café près de chez lui. « C’est vrai que, chez nous, il y a un engouement un peu fanatique pour l’Algérie, parce que depuis quelques années ils viennent nombreux passer leurs vacances dans notre pays, remarque Issa Ltaief, un fan de Tunis. Mais je pense aussi qu’on soutient les Fennecs parce qu’on a vu chez eux un jeu que nous n’avons pas eu. »

Plus à l’ouest, au Maroc, les Fennecs ont fait vibrer les foules d’Oujda à Tanger. Comme dans ce café de Salé, à côté de la capitale Rabat, où les Marocains ont explosé de joie, les bras en l’air, quand les joueurs algériens ont marqué contre les Nigérians en demi-finale. Soukaïna, une Casablancaise de 30 ans, est même partie en Egypte pour le premier match du Maroc. Mais « je soutiens l’Algérie depuis le début de la CAN », assure-t-elle. « C’est une équipe qui se bat. Les joueurs n’ont pas peur. Ils ne lâchent rien et n’épargnent personne. Leur dernier match était impressionnant », explique la jeune femme, qui a déjà prévu de regarder la finale dans un café de Casablanca avec ses proches.

Ferveur maghrébine

Pour Merry Krimau, ancien international marocain et consultant à Radio Mars, « il y a une complicité et une amitié entre nos deux pays, c’est logique de les soutenir », explique-t-il, non surpris de l’engouement à la frontière maroco-algérienne, où les supporteurs des deux pays se sont retrouvés pour faire la fête et réclamer sa réouverture alors que les deux nations sont brouillées depuis 1994. « C’est ça le sport, c’est ça le foot, ça crée un lien entre les peuples », résume-t-il.

Le parcours des Fennecs à la CAN à resserrer ce lien. « Le Maghreb, c’est le même peuple qui a été découpé de façon bizarre par les colons, note le sociologue algérien Nacer Djabi. C’est la même tradition, la même culture, la même religion. » Il rappelle également que, dans les années 1920, le mouvement nationaliste algérien qui exigeait l’indépendance s’appelait L’Etoile nord-africaine. Ainsi, cette ferveur maghrébine à laquelle on assiste actuellement, « c’est la continuité de l’histoire. Les peuples sont très proches et expriment ce sentiment dans des moments de joie ou de difficulté », ajoute M. Djabi.

Alors que des dizaines de supporteurs algériens continuent de chanter devant le stade où s’entraînent les Fennecs, l’un d’eux croise une Egyptienne, la cinquantaine. « Je suis née à Chlef », lui lance-t-elle avec un sourire qui lui écarte les joues. Et ne peut s’empêcher de lui souffler : « One, two, three, viva l’Algérie. »

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