« Le Monde » Campus et la communauté Paumé.e.s de Makesense s’associent pour faire témoigner, chaque mois, des jeunes sur la quête de sens et leur transition professionnelle. Aujourd’hui, Noémie, 28 ans, jeune diplômée en communication, qui a rédigé ce texte.

Noémie, 28 ans, membre de la communauté des Paumé.e.s.

On m’a souvent dit de ne pas me mettre « dans tous mes états ». « Ce n’est qu’un travail, prend du recul ! » Combien de fois ai-je entendu cette phrase de la part de mes managers lorsqu’ils me voyaient m’effondrer ? Retour quelques années en arrière.

Après une licence d’histoire à la Sorbonne et un master à l’Iscom, une école de communication, je signe en 2015 mon premier CDI dans l’agence où j’avais fait mon alternance, à Paris. Un parcours idéal, sans case chômage et le stress qui va avec. Mais, déjà, je ne pouvais pas m’empêcher de me sentir emprisonnée. Contrat à durée indéterminée. On aurait dit un mariage, et cela faisait naître une légère angoisse en moi.

Cette angoisse est rapidement balayée par le discours de mes proches, qui me félicitent tous d’avoir trouvé un emploi stable avec de belles perspectives d’évolution. Je me suis spécialisée dans la communication sur les réseaux sociaux, un métier où il faut être réactif et prendre des décisions rapidement. On vit dans la crainte du « bad buzz » qui peut faire perdre un client à l’agence en quelques heures.

Au bout d’un an, j’intègre une agence pour avoir un « beau nom sur le CV ». J’encadre des stagiaires, des alternants et finalement des personnes en poste. Sans aucune notion en management, je compose, observant les comportements de mes supérieurs.

La « chaîne de la pression »

Je comprends alors qu’il existe une sorte de « chaîne de la pression » : une personne communique son stress à son N-1, qui le communique à la personne en dessous de manière exponentielle, et ainsi de suite. Je veux préserver mon équipe de ce schéma et cela me prend beaucoup d’énergie. D’autant que je dois faire face à des managers qui ne fonctionnent pas comme moi…

Lors d’une réunion avec mon boss, je lui fais part de ma surcharge de travail. Stressée et fatiguée, je commence à faire une crise d’angoisse. Ma réaction est disproportionnée, je fonds en larmes et je n’arrive pas à m’arrêter. Il termine l’échange en disant qu’on se verra quand je serai « calmée ». Lorsqu’on en reparle, il me dit que je dois m’endurcir : l’entreprise fonctionne à ce rythme soutenu, et elle ne changera pas. « C’est une agence qui broie les gens, et j’ai peur que tu sois trop fragile pour tenir le coup », me dit-il. Le problème vient de moi et je dois m’adapter. Pourtant, je travaille quatre-vingts heures par semaine. Les week-ends sont en option.

Le travail m’obsède et je fais la fête pour l’oublier. Le stress me donne des vertiges et des insomnies. Des crises de larmes me prennent régulièrement. Mes proches me font part de leur inquiétude, mais je n’écoute pas. C’est mon corps qui me force à comprendre : je fais une crise d’urticaire à cause du stress. Je me retrouve avec des plaques sur le corps et des démangeaisons qui me rendent folle. Le médecin me met en arrêt maladie. Il est intraitable : je suis à deux doigts du burn-out, et il faut réagir. Il m’explique que je fais partie des personnes dites « hypersensibles », c’est-à-dire que je vis toutes les émotions de manière beaucoup plus intense que la moyenne.

D’une grosse agence à une plus petite

Je réalise que le milieu dans lequel j’évolue n’est peut-être pas le plus adapté à ma personnalité. Je décide de changer d’agence pour aller dans une structure plus petite, à taille humaine. Ce terme est d’ailleurs comique : comme si on assumait que les grosses structures ne respectaient pas leurs employés.

Les débuts dans ma nouvelle agence se passent bien. Si la pression existe, elle est atténuée par des managers qui relativisent. Dans notre métier, « on ne sauve pas des vies ». C’est une phrase qu’on entend beaucoup : tout le monde a conscience du ridicule de la pression qu’on nous met. Mais personne ne fait rien pour changer les choses.

A l’époque, ma vie tourne uniquement autour de ma carrière. Par curiosité, un jour, je m’engage dans une association qui lutte contre le harcèlement de rue. Et plus je consacre du temps à cette association, et plus je me rends compte que mon travail à l’agence manque cruellement de sens et d’utilité sociale. Alors, je multiplie les projets en dehors de mon travail, avide de la satisfaction qu’ils me procurent, et que je n’avais jamais ressentie avant.

Je lance aussi, fin 2018, un podcast qui explore les nouvelles formes de relations amoureuses. Les retours sont très positifs. Aucun de mes projets personnels ne me rapporte de l’argent, mais ils me procurent un bien-être dont je ne peux plus me passer. Ils valorisent une hypersensibilité que je vivais comme une faiblesse.

Un job free-lance, sur-mesure

Janvier : je me lève et je sens que ça ne va plus. Je ne peux plus passer cinq jours par semaine à stresser devant mon écran pour écrire des posts Facebook. Je n’ai plus la patience, je ne trouve plus aucun sens dans ce travail. Je décide de me lancer en free-lance. J’en parle avec mes managers et nous trouvons un accord pour que je puisse me lancer.

On m’a toujours dit que j’étais éparpillée, et qu’il fallait que j’apprenne à me concentrer sur une chose à la fois. Sauf qu’en free-lance, cette polyvalence devient ma force. Je travaille pour des structures très différentes et ces expériences se nourrissent les unes les autres.

Certes, mon niveau de vie a changé : je gagne moins d’argent, mais je ne le ressens pas comme un sacrifice. Je vis toujours dans le même appartement et je fais un peu plus attention aux dépenses. Je sais que c’est une question de temps, que je vais trouver mon rythme et apprendre à gérer les clients qui tardent à me payer, ce qui est très fréquent. C’est une charge mentale que je n’avais pas anticipée, et j’ai d’ailleurs prévu d’embaucher un ou une comptable pour me soulager.

J’ai trouvé dans le régime entrepreneurial une manière de créer un job sur mesure. Je suis désormais fière de sortir de la « norme » qu’on a voulu m’imposer. Si mon hypersensibilité m’a longtemps isolée, elle m’a permis de partir au bon moment.

Cette chronique est proposée dans le cadre d’un partenariat entre « Le Monde » Campus et la communauté Paumé.e.s de Makesense, qui rassemble des étudiants et jeunes diplômés en quête de transition personnelle et professionnelle.