Une décision « très sévère et injustifiée ». C’est ainsi que Jean-François Julliard, le directeur général de Greenpeace France, joint par Le Monde, qualifie l’ordonnance prise vendredi 19 juillet par le tribunal de grande instance (TGI) de Paris. Celle-ci dispose que les militants antinucléaires ne peuvent « perturber, gêner ou entraver de quelque façon que ce soit le transport et l’acheminement de matières ou de déchets nucléaires ou radioactifs (…), quel que soit le mode de transport utilisé », ni « s’approcher à moins de 250 mètres des convois (…) » routiers et ferroviaires de TN International et Lemarechal Celestin, deux filiales d’Orano (ex-Areva) en charge des transports des matières et déchets nucléaires, sous peine de devoir payer 1 500 euros d’amende par infraction et par personne.

Se voulant préventive, l’ordonnance sera active du 19 juillet au 25 septembre, soit jusqu’à la fin du débat public sur le plan national de gestion des matières et déchets radioactifs. Greenpeace a annoncé vouloir faire appel.

Cuves aspergées de peinture orange

TN International et Lemarechal Celestin avaient saisi le juge des référés le 4 juillet, à la suite de plusieurs actions – qualifiées par le juge de « vandalisme » – menées par l’ONG dans le cadre d’une campagne d’information sur les déchets nucléaires. Le 12 juin, des militants avaient aspergé les cuves d’un convoi ferroviaire transportant des matières radioactives de peinture orange en gare de Vierzon. Cinq jours plus tard, c’était un semi-remorque, toujours chargé de déchets nucléaires, qui était repeint de la même couleur en Ile-de-France.

L’objectif : donner à voir le transport des déchets nucléaires, qui représente quelque 19 000 convois par an pour « informer les citoyens que ces transports existent, car c’est une information très peu connue alors que les autorités ont normalement l’obligation d’informer sur ces transports », explique Laura Monnier, juriste pour l’organisation environnementale. Hostile au nucléaire, l’ONG milite pour la fin du retraitement et pour des solutions de stockage diminuant les transports.

« Des ordonnances du même type avaient déjà été prises pour empêcher l’ONG de s’approcher de certains convois spécifiques, mais c’est la première fois qu’une interdiction est prise pour un périmètre si large », continue Laura Monnier. « Nous ne sommes pas condamnés sur des actions qu’on a menées, mais sur l’éventualité qu’on recommence à mener des actions (…) en plus avec un cadre qui nous paraît abusif » abonde Jean-François Julliard.

« Le juge a constaté que Greenpeace a revendiqué des actions passées (…) et appelle de ses vœux une poursuite de ces actions pour l’avenir. Donc même en l’absence d’annonce précise (…) cela lui suffit pour dire qu’il y a un risque non négligeable », argue de son côté Me Renaud le Gunehec, l’avocat des entreprises de transport requérantes. Insistant sur le contexte de débat public autour des déchets nucléaires, il se dit « très satisfait, car cette décision acte vraiment le caractère illégal et dangereux de ces actions », qui immobilisent les convois.

Interdiction d’approcher à moins de 250 m des convois

Outre les débats juridiques autour du caractère de l’urgence et des « dommages imminents », et le fait que l’ordonnance s’étende jusqu’à la fin du débat public, c’est le flou entourant l’interdiction de s’approcher à moins de 250 mètres que critique Greenpeace. Si le juge a revu à la baisse le taux de l’astreinte à 1 500 euros par infraction et par personne alors que les requérants demandaient 75 000 euros, il a augmenté le périmètre d’interdiction de présence de 100 à 250 mètres.

« Interdire à tout membre de Greenpeace de se trouver à moins de 250 mètres de convois de déchets nucléaires signifie qu’a minima, l’ensemble des salariés et des bénévoles ne pourront pas se rendre dans une gare sans risquer de croiser un train chargé d’uranium de retraitement (…) ou de prendre la route des vacances sans croiser un camion de déchets nucléaires », écrit Greenpeace dans un communiqué de presse.

« Les 250 mètres se comprennent évidemment par rapport à l’objet de l’ordonnance (…) si quelqu’un de Greenpeace, sans aucune intention de dégrader ou de bloquer quoi que ce soit, passe par là totalement par hasard… ce n’est pas le sujet », rétorque Me Le Gunehec, estimant l’appellation retenue par le juge (incluant « toute personne placée temporairement sous [l’]autorité ou [le] contrôle » de Greenpeace) à la fois restrictive et efficace.

« L’objectif est de nous empêcher de dénoncer cette question des transports nucléaires » considère Jean-François Julliard, qui dénonce une volonté de « bâillonner » l’organisation. Interrogé sur l’illégalité des actions menées, il défend un mode d’action qu’il juge nécessaire pour faire avancer le débat sur le nucléaire. « C’est uniquement parce qu’on a mené des actions illégales – d’intrusion dans des centrales nucléaires – au cours des dernières années, qu’il y a eu un rapport parlementaire qui est arrivé à la conclusion qu’il fallait renforcer les pouvoirs de l’ASN et les mesures de sûreté et de sécurité dans les centrales », argumente le directeur général de Greenpeace France.