Le 25 mars 2019 devant le tableau Jean-Léon Gérôme, « vente d’esclaves » (1873) lors de l’exposition « Le modèle noir, de Géricault à Matisse » au musée d’orsay, à Paris. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Pour le musée d’Orsay, le pari était risqué. L’exposition « Le modèle noir, de Géricault à Matisse », qui se termine dimanche 21 juillet, aura accueilli pas moins de 500 000 visiteurs en quatre mois seulement, selon des estimations encore provisoires. Un gros succès pour une exposition thématique et pionnière, consacrée à la représentation des hommes et femmes noirs dans la peinture, la sculpture et les arts graphiques des XIXe et XXe siècles. Une telle affluence pour un sujet aussi nouveau est « une première en France », se réjouit Laurence des Cars, la présidente du musée d’Orsay.

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Avoir présenté cette thématique sensible et avant-gardiste dans le grand musée national, temple de l’histoire de la peinture occidentale moderne, n’est pas anodin. Naïl Ver-Ndoye, coauteur de l’ouvrage Noir, entre peinture et histoire (éd. Omniscience, 2018, 240 p., 35 euros), publié plusieurs mois avant l’exposition et associé à l’événement, salue une « démarche novatrice pour une grande institution française ».

Pour préparer le terrain, Laurence des Cars avait fait appel à des artistes, à des penseurs et à des écrivains. Une riche programmation culturelle, déclinée en tables rondes, conférences ou rencontres, a accompagné la manifestation. C’est à ces événements que « Le modèle noir » doit son succès, estime la présidente d’Orsay. Mi-juin, le concert en nocturne de la chanteuse Calypso Rose, originaire de Trinidad-et-Tobago, a ainsi attiré 5 000 visiteurs qui ont également fait un tour de l’exposition. L’engouement du public a nécessité de lancer des retirages de presque toutes les publications conçues spécialement pour l’occasion (catalogue, livres du rappeur Abd Al-Malik et de l’écrivaine Marie NDiaye) : un signe que « les visiteurs s’intéressent en profondeur à la thématique et ont envie de prolonger l’expérience chez eux », selon Laurence des Cars.

Puissant et émotionnel

L’exposition a pu toucher deux types de public : les habitués des musées aussi bien que les primo-visiteurs. « On a vu un public qui est assez jeune, sans doute plus divers que le public habituel », constate la présidente du musée. Des visiteurs globalement plus métissés. Naïl Ver-Ndoye dit tout de même avoir été choqué par l’absence de Français noirs lors du vernissage. « Nous y étions quatre : le rappeur Abd Al-Malik, l’historien Pap Ndiaye, moi et l’un de mes amis. » En revanche, l’historien a remarqué des dizaines d’Afro-Américains venus visiter l’exposition.

Sculptures de Charles Cordier et Herbert Ward exposées au musée d’Orsay pour « Le modèle noir, de Géricault à Matisse », du 24 mars au 21 juillet 2019. / FRANCOIS GUILLOT / AFP

Dans les allées du musée, on rencontre ainsi Seynedhee Avenie, venue de Washington. La visiteuse a trouvé « Le modèle noir » puissant et émotionnel : « C’est encore plus prestigieux quand l’art noir [“Black art”, sic] est mis en avant à Paris, capitale de la culture, qu’aux Etats-Unis », se réjouit la femme. Pour sa nièce Estelle Boa, l’exposition est l’occasion d’en apprendre plus sur l’influence des Noirs sur la culture. « Le modèle noir existe depuis longtemps et il a inspiré de nombreux artistes comme Matisse », remarque la lycéenne.

Le sujet a été longtemps minoré dans le monde de la culture. Selon Grégoire Fauconnier, autre coauteur de l’ouvrage Noir, entre peinture et histoire, « il y a quinze ans Le modèle noir n’aurait pas pu avoir lieu en France », alors que les Pays-Bas ont réalisé une exposition « Black is beautiful » déjà en 2008. « L’argument dominant pendant longtemps était de dire que ces sujets n’intéressent pas le public. Maintenant, c’est fini ! », juge l’historien Pascal Blanchard, spécialiste de l’empire colonial français.

L’attention et l’émotion des visiteurs se sont d’ailleurs aussi portées sur le décret original de 1848 abolissant définitivement l’esclavage sur tous les territoires français. Exposé au milieu des chefs-d’œuvre, le document historique a été copieusement photographié au smartphone.

Aujourd’hui, l’exposition s’inscrit dans un mouvement global, signe, sans doute, d’un changement des mentalités. Son niveau de fréquentation prouve que le public est prêt à découvrir des images cette histoire tumultueuse et douloureuse. « Le musée d’Orsay n’a pas épuisé tous les sujets, il y a encore matière à de très nombreuses expositions sur la question », estime Laurence des Cars. Reste à voir si d’autres grandes institutions vont suivre la tendance.

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