Dans les rues du XVIIIe arrondissement de Paris, des supporteurs algériens regardent la finale de la CAN 2019 sur un portable. / Anahit Miridjanian/Le Monde Afrique

Barbès-Rochechouart a choisi son camp. Sur les marches de la station de métro du XVIIIe arrondissement de Paris, des dizaines de supporteurs algériens dansent au milieu des fumigènes. Le coup d’envoi de la finale de la Coupe d’Afrique des nations (CAN) doit être donné dans deux heures et l’ambiance est bon enfant. Un drapeau ivoirien sur les épaules, un homme fend la foule en s’engouffrant dans le boulevard Barbès. « Allez le Sénégal ! Vive les Lions », lance t-il, fier d'afficher sa solidarité ouest-africaine. Il s’en va rejoindre quelques centaines de supporteurs sénégalais massés autour de Chateau-Rouge. Il n’y a qu’une centaine de mètres qui sépare les deux stations de la ligne 4. Mais, vendredi 19 juillet, c’est un autre monde, un autre camp.

Quand les supporteurs se croisent, il y a parfois quelques taquineries qui fusent. « A la fin du match, on va manger un couscous », lance un supporteur des Lions à un autre des Fennecs. L’ambiance est festive, on ne ressent aucune rivalité. Dans certains bars et restaurants de la Goutte d’Or, les drapeaux algériens et sénégalais se mélangent sur les murs.

Dans le bas de la rue Myrha, les supporteurs sénégalais se disent confiant avant le match. Le parcours des hommes d’Aliou Cissé a de quoi les rendre fiers. « Sur les vingt-quatre équipes qui ont participé à cette Coupe d’Afrique, nous sommes dans les deux dernières, se félicite Big Ada, chanteur et musicien. Cette coupe ferait beaucoup de bien à notre pays. » Au restaurant Soleil d’Afrique, au numéro 6 de la rue Myrha, les plats s’enchaînent : yassa poulet, tieboudienne, poulet braisé… On serre les chaises pour se régaler tous ensemble et prendre des forces ! Il règne l’esprit de la teranga, la convivialité en wolof.

« C’est encore une affaire de sorcellerie ! »

Mais alors que le match commence enfin, tout se termine. Le tir dévié de Baghdad Bounedjah, à la 2e minute de la rencontre, lobe le gardien sénégalais Alfred Gomis et retombe dans le but sénégalais. Dans son salon de coiffure, Rose Mendy reste tétanisée, un sèche-cheveux dans la main : « Ce n’est pas possible… Je n’y crois pas », lâche t-elle entre ses dents.

Une chape de silence, si lourde qu’elle doit se ressentir jusqu’à Dakar, s’abat sur la rue Myrah. « Mais vraiment je vous le jure, lâche un client au Soleil d’Afrique. C’est encore une affaire de sorcellerie ! » Vers Barbès-Rochechouart, une équipe de télé filme les supporteurs algériens qui exultent. Ils posent et chantent devant le cameraman. Des fumigènes illuminent la nuit parisienne. On danse, on s’embrasse, on tourbillonne… Dans le boulevard Barbès, on se hisse jusqu’à quatre sur les scooters et on crie dans la nuit le visage au vent.

Au milieu de la première période, la tension s’accroît rue Myrha. Quelques bagarres éclatent. Un supporteur sénégalais reçoit un coup et tombe à terre inconscient, le visage en sang. Rapidement secouru, il est évacué. A l’intérieur du Soleil d’Afrique et des autres restaurants, on baisse le rideau métallique jusqu’à la pause. Les clients restent à l’intérieur, les yeux rivés sur le poste. Il fait encore plus chaud que dans le Sine Saloum.

« En tant que fille d’immigrés je suis tres fière »

La seconde période laisse un sentiment amer rue Myrha, notamment lorsque l’arbitre refuse d’accorder un penalty aux Lions en s’aidant de la VAR (assistance vidéo à l’arbitrage). Il est 22 h 45. Dans le sud du XVIIIe arrondissement, le coup de sifflet final est accueilli dans un cri qui déchire la nuit. L’Algérie est championne d’Afrique. Alors on danse, on chante… « J’éprouve de la fierté non seulement par rapport au foot mais aussi à tout ce qui se passe en ce moment en Algérie au niveau politique, se félicite Tehami Sarah, infirmière d’origine algérienne. Cette victoire va donner une meilleure image du pays. »

« En tant que fille d’immigrés je suis tres fière », s’exclame Salima Taieb venue avec sa famille d’Aveyron pour voir la finale à Paris. Rue Myrha, le cœur n’y est plus. Il reste quelques dizaines de personnes devant les magasins. « Je ne tiens pas à répondre maintenant, préviennent quelques supporteurs. Je veux d’abord discuter avec ma famille au pays. » « L’Algérie a fait une belle compétition, analyse Matar. Notre problème vient de nos marabouts. Il y en a trop et ils donnent des avis différents, alors ça embrouille les matches et l’esprit de nos joueurs. »

Des supporteurs de l’Algérie célèbrent le sacre de leur équipe à la CAN 2019, rue Caplat dans le XVIIIe arrondissement de Paris, le 19 juillet. / THOMAS SAMSON / AFP

Il est plus de 23 heures. En face du restaurant Soleil d’Afrique, l’atelier du tailleur est toujours ouvert. Le travail n’attend pas. Demain est un autre jour.