14E ÉTAPE : TARBES - TOURMALET, 117 KM

Vu comme ça, un bouquet de fleurs et un lion en peluche se ressemblent beaucoup. / JEFF PACHOUD / AFP

Le maillot jaune est tombé du ciel vendredi 19 juillet, littéralement : Déborah Ferrand, parachutiste d’élite, était chargée de le déposer au pied du podium d’arrivée après avoir sauté dans le vide à 1 000 mètres d’altitude. La spectaculaire mise en scène a légèrement déraillé sur la fin, puisque la jeune femme s’est gaufrée dans une barrière à l’atterrissage, sans dommage.

Le « vent de travers », a-t-elle expliqué. On penche pour une autre hypothèse : la puissance du souffle dans le sillage de Julian Alaphilippe, passé à toute vitesse au même endroit quelques instants plus tôt pour laminer ses rivaux et remporter la 13e étape. L’image de la parachutiste les quatre fers en l’air illustrait bien, en tout cas, le sentiment général après le coup de force du Français à Pau : tout le monde était sur le cul, pardon, mais il n’y a pas d’autre mot.

Le Tour de magie de Julian Alaphilippe se poursuit. La concurrence écarquille les yeux, commence à se gratter la tête et à se racler la gorge devant le numéro qui dure plus longtemps que prévu. « Si Julian Alaphilippe continue comme ça, il pourrait gagner le Tour de France. » A l’image de Geraint Thomas himself, certains coureurs et directeurs sportifs n’excluent pas l’impensable, et ça ne ressemble pas à la traditionnelle intox censée mettre la pression sur l’adversaire.

Incertitude

Nous qui avions pris l’habitude de regarder le classement en zappant la première ligne pour nous concentrer sur la bataille des favoris… Tout le monde continue à penser que cette affaire est provisoire, mais plus personne n’ose prédire à voix haute la chute de l’actuel boss de la course. Julian Alaphilippe a réussi à instiller un début d’incertitude, et à rendre presque pertinentes les questions sur sa capacité à tenir en jaune jusqu’à Paris. C’est fou.

Mais il va finir par craquer, c’est sûr. Voilà ce qu’on se dit tous les jours au réveil depuis une semaine. A ce rythme, un matin, on se dira une énième fois qu’il-va-finir-par-craquer-c’est-sûr, sauf qu’on sera le lundi 29 juillet et qu’il aura remporté le Tour de France la veille, après avoir devancé Peter Sagan au sprint sur les Champs-Elysées.

« C’est une surprise chaque jour » : Julian Alaphilippe n’en finit plus d’étonner son monde, et cétone, pardon, s’étonne lui-même. Pratiquant un sport dont l’histoire interdit désormais de s’extasier face aux performances extraordinaires, le Français a convenu que « quand on fait des choses comme ça, ça crée forcément de la suspicion », avant d’avancer, dans une analyse implacable, que « si j’étais lanterne rouge, il n’y aurait pas de suspicion ».

La lanterne rouge, excellente transition, était l’un des seuls à avoir vu juste : Yoann Offredo affirmait avant le contre-la-montre vallonné de Pau que son compatriote allait non seulement garder le maillot jaune, mais encore « claquer le chrono ». On ira le voir ce matin à Tarbes pour savoir si Julian Alaphilippe peut claquer le Tourmalet.

2 000 mètres

N’allons pas jusqu’à dire que le vrai Tour de France commence maintenant (car qu’est-ce que le « vrai » Tour de France ? D’ailleurs, qu’est-ce que le Tour de France ? D’ailleurs, qu’est-ce que la France ?), mais disons qu’un second Tour débute, celui qui va envoyer le peloton sept fois au-dessus de 2 000 mètres, en finissant par Val Thorens samedi prochain, et en débutant ce samedi par le Tourmalaph’, pardon, le Tourmalet, ascension la plus empruntée de l’histoire du Tour (82 fois).

Les montées de longue durée (en l’occurrence, 19 km) risquent d’être plus délicates pour Alaphilippe-le-puncheur que des choses comme la Planche des Belles Filles (7 km) ou les raidards escaladés lors de l’étape mémorable de Saint-Etienne. Mais la brièveté de celle du jour, 117 km à peine, pourrait bien lui offrir un dixième jour en jaune demain. Julian Alaphilippe va se coller dans la roue des Ineos, et voir jusqu’où il peut suivre.

En très haute montagne, où l’oxygène se fait rare, les grimpeurs ayant grandi ou vivant en altitude sont avantagés. « Le Tour le plus haut de l’histoire », appellation officielle, avait ainsi été présenté comme favorable à Egan Bernal, le Colombien né à 2 700 mètres d’altitude. C’était sans compter sur Julian Alaphilippe, dont il ne fait aucun doute qu’il tirera sans aucun profit de son enfance passée à Montluçon, qui culmine à 364 mètres. A priori, une arrivée au sommet d’un col hors catégorie, ça n’est pas pour lui. Mais ces temps-ci, Alaphilippe est lui-même au sommet, et il est lui-même hors catégorie, alors…

L’attitude de Julian Alaphilippe depuis dix jours envers ses adversaires résumée en une photo. / GONZALO FUENTES / REUTERS

Départ 13 h 45 ; arrivée autour de 17 heures.

PS. « La course by le Tour » (c’est pas de notre faute, c’est comme ça que ça s’appelle), en lever de rideau féminin du chrono de Pau, a été remportée vendredi by Marianne Vos (vous pouvez retrouver un bref résumé by Clément Guillou en cliquant sur ce lien). Nous profitons de l’occasion pour réparer un oubli : nous avions omis de partager avec vous cette fin d’étape proprement ébouriffante sur le Tour d’Italie féminin voilà dix jours. Plus grand est l’espoir, plus grand est le désespoir.

PPS. Steven Kruisjwijk avait chaud à l’issue du contre-la-montre de Pau, alors il a enfilé un joli gilet-congélo.